L’interview de Abdellah Boussouf vient clôturer une série d’émissions programmées depuis le 17 décembre 2020 à l’occasion de la journée internationale des migrants. Elle vient également établir un bilan des acquis et réalisations du conseil, qui célèbre dans deux jours ses 13 ans d’existence dans le paysage institutionnel marocain.
Historien, expert à la Commission européenne (97-2003), ancien vice-président du Conseil Français du culte musulman (CFCM) et à l’origine de plusieurs initiatives au profit de la communauté marocaine et musulmane à l’étranger, dont la construction de la Grande Mosquée de Strasbourg, Abdellah Boussouf a vécu pendant plus de trois décennies à l’étranger avant d’être nommé par Sa Majesté le Roi Mohammed VI, en tant que secrétaire général du CCME.
La journée internationale des migrants, instaurée par les nations unies depuis 2000, n’est pas uniquement une célébration, mais une aussi une occasion de consolider les acquis en termes de droits. Depuis l’an 2000, le nombre des migrants a augmenté de 50%, un taux qui est voué à une augmentation, au vu de plusieurs raisons, comme le réchauffement climatique.
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Cette année, la célébration de cette journée est, du fait des répercussions du coronavirus, teintée d’incertitudes, même si cette pandémie a été l’occasion de redécouvrir le «réservoir d’humanité et de solidarité» chez les Marocains du monde, qui ont mené cette guerre sur deux fronts, dans leurs pays d’accueil et dans leur pays d’origine.
Ils se impliqués dans des actions associatives d’aide aux personnes âgées, par exemple, dans les pays d’accueil. Au Maroc, en plus des transferts d’argent qui ont dépassé les prévisions, et augmenté de 1,7% par rapport à l’année dernière, ils ont lancé plusieurs initiatives et projets de solidarité.
Pourtant, les Marocains du monde continuent à faire face à des défis au quotidien: le racisme qui ne fait qu’augmenter dans plusieurs pays du monde, l’islamophobie, l’extrémisme, les défis culturels, identitaires, l’intégration.
Une récente étude réalisée récemment par le CCME sur les jeunes Marocains dans six grands pays d’immigration européens, en collaboration avec l’institut de sondage français Ipsos, fait également état des difficultés d’accès au logement, à l’emploi.
Le CCME: 13 ans d’existence dans le paysage institutionnel marocain Constitutionnalisé en 2011, le CCME a, en 13 ans d’existence, pu réaliser près de 150 études sur la migration, dans le cadre de ses six groupes de travail: «culture, éducation et identités», «citoyenneté et participation politique», «administration, droits des usagers et politiques publiques», «compétences scientifiques, techniques et économiques pour le développement solidaire», «cultes et éducation religieuse» et «approche genre et nouvelles générations», qui définissent également les axes que le conseil a pu traiter.
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Les actions du CCME ont fait de la migration deviennent un sujet de premier ordre, auprès des institutions, tout au long de l’année et non seulement de manière périodique, pendant les vacances estivales. Aujourd’hui le CCME a, à son actif, plusieurs partenariats avec plusieurs universités, institutions, conseils de gouvernances, qui ont accordé à la migration marocaine un dimensionnement plus scientifique.
Le CCME a également pu ouvrir d’autres horizons: «nous avons prôné une approche participative, nous avons écouté les communautés dans plusieurs pays du monde, pu approcher l’acteur exécutif et académique des pays d’accueil», indique-t-on.
A titre d’exemple, le CCME a été la première institution à aborder la question de l’éducation religieuse d’un point de vue scientifique, un sujet de débat international, pour lequel l'institution a consacré trois études depuis 2010.
«Dans un colloque international à Strasbourg sur la formation des cadres, nous avions, il y a plus de 10 ans, recommandé une formation ouverte sur les sciences humaines, en lien avec la réalité migratoire du pays d’accueil. Une idée parmi tant d’autres qui ont été produites après plusieurs consultations et études mais qui n’ont pas eu d’échos auprès de l’exécutif».
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«Le CCME est une institution consultative, nous n’avons donc pas le moyen d’imposer nos recommandations à l’acteur gouvernemental», explique Abdellah Boussouf, qui affirme que «le conseil a pu cumuler son expertise car il a l’occasion de travailler loin de la pression politique, et que «notre institution ne concurrence en aucun cas l’acteur gouvernemental».
Si les recommandations du CCME ne sont pas encore prises en compte, c’est, de son avis, «parce que, dans notre pays, nous n’avons pas encore cumulé l’expérience de travailler en collaboration avec les conseils de gouvernance», a-t-il ajouté.
«Nous avons par exemple évoqué la question de l’immobilier depuis plus de 10 ans, celle de l’équivalence des diplômes, du taux des transferts, l’un des plus élevés au monde, l’enseignement des langues marocaines à l’étranger...», argumente le secrétaire général du CCME.
Pour formuler ldes avis et recommandations, «notre approche est basée sur l’écoute. Par exemple, la participation du CCME au salon du livre chaque année, même si [le CCME] n’est pas un acteur culturel, a pour but de faire connaître les compétences marocaines du monde auprès de l’opinion publique. Depuis 13 ans, nous avons mis en valeur plus de 400 compétences dans presque tous les domaines, pour montrer au public marocain que la communauté marocaine est diversifiée».
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A la question de savoir si le CCME constitue un écueil à la représentation politique des Marocains du monde à la première Chambre du Parlement, Abdellah Boussouf répond que «l’action exécutive est du ressort du gouvernement, nous ne pouvons pas être responsable d’une question nodale comme celle de la participation politique des Marocains du monde. Chaque institution a des prérogatives, le seul acteur qui puisse concrétiser les dispositions de la Constitution, dont celle de la participation politique des Marocains du monde, est le gouvernement».
Il évoque à cet effet les actions et travaux du groupe de travail «citoyenneté et participation politique» du CCME, dont les membres ont dû impliquer les secrétaires généraux des partis politiques à leurs travaux, pour pouvoir élaborer un avis, publié en détails, dans un rapport en arabe et en français.
Pour conclure le chapitre du bilan du CCME et de ses prérogatives, le secrétaire général affirme que «le CCME est la première victime de l’absence de politiques publiques effectives en matière de migration». En effet, une «loi organique du CCME n’a toujours pas vu le jour, 9 ans après la fin du premier mandat. Nous avons pourtant approché le chef du gouvernement pour ce sujet dès sa nomination».
Les défis futurs du CCME Conformément aux dispositions de l’article 163 de la Constitution, qui stipule que le CCME est chargé «d'émettre des avis sur les orientations des politiques publiques permettant d'assurer aux Marocains résidant à l'étranger le maintien de liens étroits avec leur identité marocaine», une des caractéristiques du CCME est qu’il doit «être plus connecté et plus proche du terrain pour mieux cerner les problématiques des communautés marocaines dans leurs pays d’accueil».
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La question identitaire revêt aujourd’hui, et dans le futur, une place centrale, de par son importance dans le processus d’intégration. En ce sens, et pour barrer la route aux discours extrémistes, il faudra continuer d’agir pour «faire du Marocain un vecteur de paix, de prospérité, de développement, un pont entre son pays d’origine et d’accueil avec lequel il entretient un lien spirituel, préservé et garanti par l’institution de la commanderie des croyants au Maroc».
Pour continuer à maintenir ses liens exceptionnels avec les nouvelles générations, «nous devons nous atteler à préparer une offre culturelle capable d’atteindre les jeunes, dans les langues d’accueil et combler les lacunes et le vide médiatique afin de faire connaître l’évolution en marche dans le pays auprès de ces jeunes».
La prise en charge des mineurs non accompagnés est également un défi qui s’impose dans l’agenda du futur conseil car c’est un dossier qui parasite les relations avec les pays européens. Il faudra également élaborer des mécanismes pour soutenir les familles émigrées, car «c’est le principal canal de la transmission de l’identité marocaine, et revoir, dans ce cadre, le code de la famille afin d’accompagner les évolutions sociales».
Il faudra également, et avec tout l’engagement possible, «s’occuper des compétences, car elles ont la capacité d’accélérer considérablement le développement humain du Maroc». Pendant la pandémie, «nous avons vu que les compétences marocaines pointues sont nombreuses et bien présentes dans les pays les plus développés et le plus extraordinaire, c’est qu’il sont prêts s’engager pour leur pays d’origine». A cet effet, il faudra «créer une agence pour la gestion des compétences marocaines du monde, comme en Chine par exemple, où 50% des écoles et instituts chinois sont gérés par la diaspora chinoise».
D’après l’étude précitée réalisée par le CCME, l’intégration est un processus engagé et irréversible, mais pour renforcer ce sentiment d’appartenance au pays d’origine, «il faut élaborer des politiques publiques adéquates. Je pense au tourisme par exemple, qui doit élaborer une offre attractive pour attirer les jeunes qui sont nombreux à préférer passer leurs vacances ailleurs qu’au Maroc».
Le Maroc est pays riche et diversifié, par sa gastronomie, sa culture, sa nature, son histoire et bien d’autres atouts qui ne sont pas assez bien exploités. «Nous devons alors sans plus tarder travailler à développer l’image de notre pays, qui est une industrie lourde, comme l’ont fait avant nous des pays comme la France ou l’Espagne, en créant des institutions dédiées à l’image de leur pays à l’étranger». Ce sont là des actions parmi d’autres à entreprendre pour que ce «lien métaphysique que les communautés marocaines entretiennent avec leur pays d’origine puisse été renouvelé afin de transcender les générations».
Abdellah Boussouf a enfin tenu à «remercier les membres du CCME qui travaillent tous les jours pour un avenir meilleur des communautés marocaines dans le monde et à rendre un hommage posthume aux membres défunts, Abdelhamid El Jamri et Faouzi Lakhdar Ghazal qui ont mis à mis leur expertise à la disposition de la défense des droits des Marocains du monde».
«Je remercie également les institutions académiques et tous nos partenaires qui nous ont permis de porter la question de la migration au cœur du débat publique et j’entretiens l’ambition de voir les Marocains du monde réaliser l’accélération de l’histoire de notre pays».