Une Marocaine peut être juge et envoyer un accusé derrière les barreaux pour plusieurs années. Médecin, elle peut rédiger une expertise médicale et obtenir l’incarcération d’un ou plusieurs individus. Elle peut être notaire, avocate et elle a aussi la possibilité de devenir adoul depuis 2018. Mais elle n’a pas le droit de témoigner dans le cadre d’un Lafif, un témoignage collectif de 12 personnes en vigueur depuis des siècles et qui sert à trancher plusieurs litiges dont la solution n’est pas prévue par d’autres législations.
Jusque-là, la femme est jugée «mineure» pour faire partie d’un Lafif et cette aberration est en passe d’être corrigée par un nouveau projet de loi qui réglemente le métier des adouls. Élaboré par le ministère de la Justice, il est actuellement en train d’être examiné par le Secrétariat général du gouvernement (SGG) avant de prendre le circuit législatif normal pour une adoption définitive. Avec cette réforme, un Lafif pourra être composé d’hommes et de femmes et même de 12 femmes seulement. Consulté au préalable, le Conseil supérieur des Oulémas n’a pas émis d’opposition.
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«Cette réforme est la bienvenue et nous n’avons rien contre. Je dirais même que, dans certains cas, le témoignage d’une femme est plus fiable que celui d’un homme», nous déclare Tarik Ghafir, président de la section régionale de Casablanca-Settat du Syndicat national des adouls (rattaché à l’UGTM).
Un Lafif, c’est quoi au juste?En vigueur depuis des siècles chez les adeptes du rite malékite comme les Marocains, le Lafif consiste à réunir 12 témoins pour trancher des litiges liés généralement à l’héritage, à la filiation, aux décès… Dans le temps, par exemple, un homme démuni dans l’incapacité de payer une pension alimentaire, et en l’absence d’attestations de travail et autres comptes bancaires, devait réunir un Lafif pour le prouver.
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Le Lafif est ordonné par le juge, et les témoins sont auditionnés en même temps mais séparément. Chaque témoin est interrogé par les deux adouls, lesquels lui font lire ou lui lisent son témoignage qu’il signe après avoir fourni une pièce d’identité.
Dans la philosophie derrière le Lafif, les théologiens malékites estiment qu’il serait difficile, voire impossible, d’amener 12 hommes à mentir en témoignant lors d’un litige.
Le Lafif a-t-il toujours sa place dans notre système de justice? «Absolument, répond Tarik Ghafir, mais à condition d’y apporter quelques changements.» Par exemple, au moment de la généralisation du carnet d’état civil, on peut réduire le Lafif à 6 personnes au lieu de 12 pour attester d’un décès et dans des litiges liés à l’héritage. Cela soulagerait en même temps les justiciables et les adouls. Pour les premiers, il n’est pas toujours évident de réunir 12 personnes dans un même lieu et en même temps. Pour les adouls, auditionner 12 personnes demande beaucoup de temps, plus d’effort et plus de paperasse.
Il était une fois le Lafif de la souverainetéEn parlant de Lafif, Ghafir rappelle que ce procédé a été utilisé dans les affaires très sérieuses et concernant même des questions de souveraineté.
Les allégeances des tribus sahraouies aux rois alaouites, notamment feus Mohammed V et Hassan II, ont été scellées par des Lafifs. Autrement dit, ces allégeances ont été constatées par deux témoins et font l’objet de documents notariés.
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Ce sont ces Lafifs qui ont figuré dans le dossier remis à la Cour internationale de justice (CIJ) lors du conflit avec l’Espagne autour des provinces sahariennes et juste avant le lancement de la Marche verte.
Ces documents ont attesté des liens historiques liant les tribus sahraouies à la monarchie marocaine et cela a été pris en compte par les juges de la CIJ.