Vous avez mené une étude sur le risque de contracter le Covid-19 tout en étant vacciné. Quels sont les résultats obtenus?
Cette étude était importante à mener pour répondre à un certain nombre de questions que peuvent se poser la population, les autorités, les différents responsables, les différents scientifiques.
Il s’agit, et j’insiste, de résultats préliminaires d’une première base de données pour essayer de répondre à deux principales questions. La première: est-ce que les personnes vaccinées peuvent contracter de nouveau le Covid-19?
Et la deuxième: est-ce que la vaccination contre le Covid-19 telle qu’effectuée au Maroc a pu avoir des résultats en termes de risques d’hospitalisation et en terme de risque de complications?
Ces résultats préliminaires n’ont pas vocation à être généralisés à l’ensemble des Marocains et à l’ensemble des régions, mais elles ont le mérite de donner une première tendance, de livrer des premiers chiffres qui seront très intéressants pour les dirigeants et les décideurs.
Il s’agit donc de mieux informer la population, de mieux planifier un certain nombre de stratégies pour la prise en charge, le dépistage, le conseil et l’orientation. Cela permettra surtout à mon sens de donner des arguments aux décideurs pour permettre à la population d’adhérer au maximum à la campagne de vaccination contre le Covid-19.
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Cette campagne est un succès aujourd’hui pour l’Etat marocain puisque nous avons vacciné plus du tiers de la population cible. Il s’agit de 30 millions d’habitants à vacciner et nous en sommes à 10 millions de personnes vaccinées.
Quelles sont les conclusions que vous avez tiré de cette première étude?
Premier résultat intéressant: que vous soyez vacciné avec Sinopharm ou avec AstraZeneca, vous pouvez contracter le Covid-19. C’est-à-dire qu’il n’y a pas un vaccin qui est supérieur à l’autre en matière de protection contre le Covid-19 dans le contexte marocain par rapport à un certain nombre de la population à risque.
Deuxième résultat intéressant: nous avons constaté qu’il y avait plus de femmes atteintes en post-vaccination alors que classiquement il y a plus d’hommes que de femmes touchés par le Covid-19. C’est une observation intéressante. Est-ce que cela signifie que les femmes ont plus d’exposition, qu’elles ont plus fréquenté des fêtes ou des lieux de rassemblements? Il semble plutôt que ce soit en rapport avec les fréquentations entre les jeunes et les adolescents qui sont les plus affectés ces derniers temps et qui ne sont pas vaccinés.
Le troisième résultat intéressant: 95% des personnes infectées en post-vaccinal ont affirmé avoir pris part à un rassemblement, une fête, un lieu commun au cours de la semaine précédant la positivité. Donc cela montre encore une fois le risque qui plane lorsque les mesures barrières ne sont pas respectées même chez les sujets vaccinés parce que même si le risque de contracter le virus, il reste présent.
Enfin, le dernier résultat qui nous semble important est que sur la majorité des cas, 95% ont été suivis en ambulatoire avec des signes mineurs et sans complications. 5% des personnes ont dû être hospitalisés, aucune des personnes n’a été ventilée ou intubée, et la létalité équivaut à 0.
Il semblerait que 26% des personnes interrogées sont du groupe sanguin A+. Qu’est-ce que cela signifie plus exactement?
Nous avons observé qu’il n’y a pas un groupe sanguin qui serait beaucoup plus à risque en post-vaccinal par rapport à d’autres. La littérature montre de façon générale qu'être du groupe A est un facteur particulier qui exposerait encore une fois, je le mets au conditionnel à plus de risques et de complications en infection post-vaccinal.
Nous avions 26% de personnes qui étaient du groupe A+, mais il y a également 36% du groupe O+ et le reste entre le groupe AB et le groupe B. Conclusion, le groupe sanguin n’intervient pas de façon significative dans l’infection en post-vaccinal.
Dans cet échantillon que vous avez analysé, combien de vaccinés ont-ils contractés le Covid-19 et combien de fois?
La vaccination contre le Covid-19, et quel que soit le vaccin - Sinopharm, AstraZeneca, Janssen, Moderna, Pfizer ou Spoutnik-V - ne donne pas une efficacité ou une efficience de 100%. Cela varie entre 70 à 90, 94%. Cela signifie qu’il y a un pourcentage de non efficience des vaccins et de non protection maximale des vaccins. Si l’on dit qu’un vaccin est efficace à 80%, ça veut dire que dans 20% des cas, ils ne donnent pas la protection attendue. Et bien c’est tout à fait normal. C’est ce que nous avons également observé dans le pool analysé.
Dans le lot des patients que nous avons suivi depuis à peu près 18 mois, une partie s’est faite vaccinée et sur ces personnes vaccinées nous avons à peu près entre 12 et 15 % qui ont été infecté au Covid-19 en post-vaccinal.
Cela correspond parfaitement aux données de la littérature scientifique internationale et est totalement logique. La vaccination ne protège pas totalement contre l’infection, elle protège d’une certaine manière. Mais ce qui est le plus important dans la vaccination, ce n’est pas tellement de se protéger contre la contamination, c’est la protection contre l’hospitalisation et la protection contre les complications graves de la maladie.
Cette première base de données analysée montre que nous avons moins de 5% des cas qui ont dû être hospitalisés et 0% de cas qui ont dû être placé en réanimation ou en soin intensifs.
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Evidemment cela n’est pas représentatif de tout ce qui se passe à l’échelle de tout le Maroc, mais ce qui est important à retenir c'est que 40% des cas infectés en post vaccinal ont du diabète ou de l’hypertension. Notre étude montre également que 52% des personnes infectées par le Covid-19 après avoir été vaccinées sont des sujets obèses. Ce sont des cas qui favorisent malheureusement la réinfection, mais surtout qui peuvent exposer à des complications. Dans certains de ces cas, il peut y avoir des situation d’hospitalisation pour complication en soins intensifs ou en réanimation.
Au Maroc, 32% de la population marocaine ont de l’hypertension, 10% du diabète et 21% souffre d’obésité. Si nous prenons ces chiffres et que nous les appliquons aux personnes vaccinées, nous allons trouver seulement 5% qui ont un risque majeur de complication ou de réanimation.
Ce qui montre bien que la vaccination à un effet sur la réduction de situation d'hospitalisation et des complications qui sont graves.
Lorsque l'on dit réduction, cela ne veut pas dire réduire à néant. C’est un intervalle de confiance. C’est-à-dire que nous allons avoir un certain nombre de cas qui peuvent exister et qui pourraient être hospitalisés ou compliqués en post vaccination.
Quelle méthodologie avez-vous adoptée pour mener cette étude et qui vous a accompagné?
L’échantillon préliminaire que nous avons analysé contient 110 personnes. C’est déjà bien, car cela nous a permis d’obtenir des chiffres intéressants. L’idée est de prendre des sujets vaccinés par les deux doses AstraZeneca ou Sinopharm, depuis au moins 15 jours, et des personnes positives confirmées par RT PCR 15 jours après la vaccination.
Nous avons reçu ces personnes, nous les avons soumis à un examen clinique. Nous avons mesuré tous les paramètres et évalué leur risque santé. Nous avons calculé des échelles de risque et nous avons ensuite pris la décision de les envoyer soit en hospitalisation ou en suivi ambulatoire, et mis en place le choix de traitement.
Dans un premier temps, nous ne cherchons pas la généralisation des résultats ou la représentativité nationale puisque nous sommes encore en train d’analyser les données obtenues.
La vaccination massive dans plusieurs pays aurait provoqué une sorte de recrudescence de l’épidémie. Est-ce le cas au Maroc et cela a-t-il été prouvé ou au contraire infirmé par cette étude?
C’est un énorme biais de penser qu’il y a eu recrudescence des cas après la vaccination de masse dans plusieurs pays. Il ne faut surtout pas associer vaccination de masse et recrudescence des cas et reconfinement. Ce sont deux phénomènes qui sont séparés. C’est ce qu’on appelle les erreurs de corrélation en épidémiologie parce qu’on associe ensemble des phénomènes macro, alors que ce sont des phénomènes liés.
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La recrudescence des cas est due d’abord au fait que nous sommes dans une phase où il y a des variants qui se transmettent plus facilement. Nous avons eu le variant anglais qui se transmet entre 46% à 70% de plus que la souche classique et le variant indien qui se transmet à 50% de plus que le variant britannique (Alpha). Cela veut dire globalement que le variant indien (Delta) se transmet au moins deux fois plus que la souche classique.
Le deuxième facteur c’est que dans tous les pays où nous n’avons pas atteint l’immunité collective, le virus peut circuler. C’est valable pour toutes les variants que ce soit Alpha ou Delta.
Le troisième facteur est ce que j’appelle la courbe de fatigue sociale. C’est-à-dire que les gens sont extrêmement fatigués et au bout de X temps, il y a un relâchement. Les gens sont épuisés de respecter un certain nombre de règles qui ont un impact sur leur vie sociale, psychologique et économique.
Nous avons constaté partout dans le monde, y compris au Maroc, un relâchement par rapport au port du masque, par rapport à la distanciation physique, par rapport au lavage des mains et qui explique cette recrudescence. Cela concerne particulièrement les jeunes qui eux ne sont pas encore vaccinés et qui, à la faveur de circonstances estivales, à la faveur de cette fameuse courbe sociale, vont se relâcher et infecter les personnes de leur âge et leurs parents, voire leurs grands-parents.
Nous observons également des clusters particulièrement présents avec le variant Delta. Ce sont tous ces facteurs qui expliquent la recrudescence des cas et non pas la vaccination de masse.
Je rappelle qu'il y a un mois, le 21 juin, le taux de positivité était de 1,59% et qu’aujourd’hui il est de presque 20%. Même chose pour les personnes sous surveillance médicale, elles étaient 3.500 le 21 juin 2021, et nous avons atteints presque 20.000 cas aujourd’hui. Il en va de même pour le nombre de cas en réanimation. 250 personnes le 21 juin, et un mois plus tard le chiffre monte à 495.
La vaccination est une excellente stratégie que nous devons maintenir et continuer jusqu’à atteindre l’immunité collective. Elle doit, en attendant, s’associer aux mesures barrières ainsi qu'à plus d’informations, à plus d’éducation pour la santé, à plus de communication pour la population. L’objectif est de faire prendre conscience de l’importance de la vaccination, de l’importance de dépister, d’isoler et de traiter, et enfin de maintenir les mesures barrières.
Les principaux résultats de l’étude sur les taux d'infection post vaccinal:
• 54% de femmes alors que le Covid-19 touche généralement plus les hommes.
• La moyenne d’âge est de 52 ans.
• 47% ont reçu deux doses d’Astra Zeneca; 48% ont reçu deux doses de Sinopharm et 5% Pfizer.
• 51% ont un antécédents de maladie chronique dont 42% du diabète ou de l'hypertension artérielle (HTA).
• 52% sont obèses.
• 70% ont rapporté la participation à un évènement dans la semaine précédente.
• 97% des cas se sont présentés après 3 jours des symptômes en moyenne (1j à 6j ).
• 26% des cas sont du groupe A+.
• 5 cas ont été hospitalisés dont deux en soins intensifs et aucun n’a été intubé, ni ventilé.
• Le taux de guérison est de 100% sur la base des critères RT PCR et cliniques.