Chaque jour, à 18 heures, les Marocains sont scotchés à leur écran de télévision ou à celui de leur smartphone. Ils attendent impatiemment l’annonce des derniers chiffres de l’évolution, sur 24 heures, de l’épidémie du coronavirus. Pour pousser un "ouf" de soulagement ou alors, de plus en plus ces derniers jours, se dire qu’il y a le feu en la demeure.
Celui qui se charge de ces annonces quotidiennes n’est autre que Mohammed Youbi, patron de la Direction de l’épidémiologie au ministère de la Santé.
De tarab et d’eau fraîcheMohammed Youbi est né au milieu des années soixante à Fès dans une famille conservatrice comme il en existe tant dans la capitale spirituelle.
Après son bac, il évite d’aller dans une université dominée à l’époque par les courants gauchistes et opte pour la faculté de médecine. «Suivant les conseils de son père qui a aussi deux autres fils médecins», affirme une de ses connaissances, qui sont rares, faut-il le préciser.
«Le paternel, Abdelmalek, est une figure connue du Melhoun à Fès. Sauf qu’il envisageait une autre carrière pour ses enfants», poursuit notre interlocuteur. Ce sera le scalpel, le stéthoscope, ou le microscope, en lieu et place du luth ou du rebab.
A la faculté de médecine de Rabat, l’étudiant Mohammed Youbi ne fait pas de vagues. «Il était timide et il l’est toujours. Studieux, aussi, pour ne pas décevoir sa famille», commente une de nos sources. Quand il fallait aller au charbon, Mohammed Youbi ne disait toutefois jamais non.
Se sentant investi d’une mission, et c’est vraiment le cas, le Fassi va exercer son travail dans des localités que les nouveaux lauréats, des «gosses de riches» ayant étudié dans les facultés de médecine du royaume, fuient comme la peste. Les habitants des patelins de Béni Mellal et d’Azilal voient débarquer un «Tbib» qui sait les écouter et surtout les conseiller. Et toujours disponible, ne serait-ce que pour donner de sa poche.
Mais plus pour très longtemps. Le médecin généraliste qu’il a été décide de donner un nouveau tournant à sa carrière en optant pour une spécialité des plus pointues. Après un passage par l’Ecole nationale de santé publique, vers la fin des années 2000, il part en France étudier l’épidémiologie. Son classement en tant que Major d’une première promotion (très restreinte en termes de membres) lui donne droit à une bourse de l'Etat pour le financement de ses études.
Il était une fois Pr. Maâroufi…Mohammed Youbi a roulé sa bosse, une fois de retour en France, en tant que responsable dans plusieurs départements au sein du ministère de la Santé. Il a, entre autres, été le directeur général, par intérim, de l’Institut national d’hygiène (INH). Et il attendait sa chance. Un nouveau tremplin.
Ce sera en septembre 2018, quand Mohammed Youbi est appelé à remplacer le Pr. Abderrahmane Maâroufi (appelé à diriger l’Institut Pasteur) à la tête de la Direction de l’épidémiologie.
Les mauvaises langues évoquent un deal entre le PPS et le PJD, parti dont Mohammed Youbi serait un militant, ou du moins un sympathisant. On n’en saura rien, surtout que le premier concerné refuse de répondre à nos sollicitations. Car nous tenons à préciser que Mohammed Youbi a promis de répondre à nos questions (à la rédaction centrale, comme à notre équipe permanente basée à Rabat) sans jamais donner suite à nos appels et relances.
«Il n’aime pas les médias et il a été soulagé de ne plus devoir répondre aux journalistes, face à face, depuis le début du confinement», assure une source au ministère de la Santé.
Aït Taleb ou El Othmani face aux caméras? Non, merci…Nos sources à Rabat affirment que Mohammed Youbi n’a jamais cherché à être mis au devant de la scène pour communiquer autour de l’évolution de l’épidémie dans notre pays. «On l’y a obligé en quelque sorte, eu égard à son poste de responsabilité», affirment nos sources.
«Galha hadak Lyoubi l'bareh!» («Il l’a dit, hier, Lyoubi!»), confie un marchand ambulant du quartier de Derb Ghallef, à Casablanca, faisant allusion au bilan arrêté chaque jour par le ministère de la Santé.
Autrement dit, la parole d’un médecin pèse plus lourd que celle d’autrui et surtout d’un politicien.
Car qu’on se le dise, et tout le monde le sait, au Maroc comme ailleurs, les assertions d’un homme politique passent mal, très mal. Imaginez un peu le scepticisme des Marocains devant un live de Saâd Eddine El Othmani ou de Khalid Aït Taleb, son ministre de la Santé. Voire face à un live d’El Hassan Abyaba (le désormais ex-ministre de la Culture et porte-parole du gouvernement, remercié mardi dernier).
Donc, pour le moment, ce sera Mohammed Youbi qui annoncera les bonnes et mauvaises nouvelles, en compagnie de ses laborantins en chef. Et qui sait? Le coronavirus sera sans doute un jour un mauvais souvenir, un mauvais cauchemar, mais on se souviendra encore de Mohammed Youbi.