A cet endroit mythique, non loin de la cathédrale Saint-Pierre, le marché Nouar a vu le jour en 1940. Il a été délocalisé pendant trois ans à Nouzhat Hassan, le temps du réaménagement de l'ancienne place Pietri.
Attirés par les effluves enivrantes qui se dégagent des échoppes des fleuristes, les chalands s'attardent un moment, s’extasient devant pots et bouquets magnifiquement arrangés, mais passent leur chemin.
Lire aussi : Vidéo. "Moi, Aziz, le plus ancien fleuriste de Casablanca"
Ceux parmi eux qui prennent le temps de se renseigner sur les prix vont rarement à la caisse. Jugeant ces derniers excessifs, ils filent à l’anglaise et font la sourde oreille aux interpellations du commerçant, ses supplications ou ses injures.
Les fleurs ne font plus recette, manifestement. Cela ne veut pas dire que les R’batis seraient insensibles à la beauté et à la symbolique de ces jolies plantes. Mais, pour être pratiques, débourser entre 100 et 200 DH pour un bouquet de dix ou vingt fleurs dont la durée ne dépasse pas quelques jours, ne leur semble pas souvent raisonnable.
C'est à dire, peu de Marocains en ont vraiment les moyens! En conséquence, l’marché Nouar qui, auparavant, ne désemplissait pas, offre aujourd’hui le spectacle désolant de ses occupants désœuvrés, qui passent leurs journées à regarder voler les mouches, tandis que les fleurs fanent sans trouver preneur.
Sur toute l’année, le souk des fleurs ne retrouve sa fraîcheur que pour quelques jours, à l’approche des moussems, de la Saint-Valentin et du 8 mars, la journée internationale des droits de la femme.
Mais pour ce temple floral déserté, il n’existe pas vraiment de haute et de basse saison. Toute l’année est plutôt basse. Toutefois, avec les premières chaleurs de l’été, un vent de couleurs souffle sur l'ex-place Pietri et le ciel s’éclaircit pour ces marchands infortunés. Une large gamme de fleurs, tous parfums, teintes et variétés confondus, débarquent alors dans les échoppes.
Les mains expertes des fleuristes s'en occupent à plein temps et l’on met les bouchées doubles pour composer des bouquets splendides qui pourraient séduire le chaland et renflouer les caisses vides.
Lire aussi : Vidéo. A Tanger, les amoureux à la fête, les fleuristes aussi
En hiver, par contre, c’est carrément la morte saison, avec non seulement des acheteurs qui se font rares, mais aussi des variétés impossibles à trouver à cause de la fraîcheur des températures. Celle-ci n’épargne que les plantes les plus résilientes.
Cette période de vaches (très) maigres dure presque cinq mois, entre octobre et février. Les arrivages de marchandises sont programmés toutes les 48 heures mais en quantité limitée. La production horticole baisse, à cause de la capacité limitée des serres.
Les fournisseurs subissent ainsi de plein fouet les contraintes relatives aux aléas climatiques, qui font que la production des fleurs en général, et des roses en particulier, régresse pendant l'hiver.
Selon Aziz Mouhcine, président de l'association des Fleuristes du marché aux fleurs, ces dernières proviennent essentiellement des villes de Béni-Mellal, Marrakech et Agadir. Elles sont généralement cultivées dans les régions où la température est élevée, ce qui explique leur rareté durant la période hivernale, précise-t-il à la MAP.
Aux environs de Rabat, les fournisseurs des échoppes sont les horticulteurs et les pépiniéristes de Skhirate et Sidi Bouknadel, connus principalement pour leurs pépinières à effet de serre, dédiées chacune à un type de fleurs ou de plantes. Leur production se maintient tout au long de l'année, indépendamment des saisons et des conditions climatiques.
"Ces fournisseurs de proximité qui pratiquent des prix bas sont la source d’approvisionnement fixe et incontournable des fleuristes. Les fleurs importées des Pays-Bas, telles les orchidées, sont vendues à des prix très élevés avoisinant les 500 DH l’unité", relève Mourad, jeune fleuriste de la place.
Lire aussi : Kelâat Mgouna: coup d’envoi du Salon international de la rose à parfum
Très jeune, Mourad a hérité de ce métier de son père et sa seule formation a été à l’échoppe. "Je n'ai bénéficié d'aucune formation professionnelle, tout simplement parce qu’elle n’existe pas", fait-t-il savoir. Se basant sur un apprentissage traditionnel, de père en fils ou de maître à apprenti, les fleuristes acquièrent et transmettent leur savoir classifier, entretenir et stocker fleurs et plantes vertes.
"Après le décès de nos grands maîtres artisans, dont El Haj M’barek, El Haj Ayyad, Si Boubker, Si Talbi et autres… nous sommes toujours à la recherche d’un nouveau l’Amine qui pourra succéder à l’ancien, mais en vain", déplore Aziz Mouhcine, en soulignant que l’Amine élu par les fleuristes doit être un vrai maître artisan, expérimenté, sage et digne de confiance.
Ce fleuriste-en-chef se charge également de résoudre toute brouille ou différend entre les professionnels. En l’absence de l’Amine, c’est l'association des fleuristes de l'ex place Pietri qui gère les démarches administratives auprès de la commune urbaine de Rabat.
Par ailleurs, chaque fleur a son prix. Ce prix ne dépend pas seulement de la qualité de la marchandise, mais aussi du talent du fleuriste, de sa créativité et sa maîtrise de l’art de la composition florale. Le prix minimal d’une rose solitaire oscille entre 3 et 5 DH, tandis que le prix maximal est de 15 à 20 DH.
Les orchidées, elles, figurent parmi les plus coûteuses et sont vendues à près de 600 DH le bouquet ou le pot. En fonction du nombre de fleurs arrangées, le prix d'un bouquet contenant principalement des roses varie entre 50 et 150 DH.
Ceci dit, un bouquet plus grand ou conçu plus soigneusement sur commande peut atteindre entre 1.000 voire 1.500 DH. Intégrés dans le prix total, les emballages à base de porcelaine, papier ou cellophane et le petit ruban en plastique coûtent entre 30 et 50 DH.
Lire aussi : Akhannouch donne le coup d’envoi de la 57e édition du Festival de la rose
Inchangés depuis des décennies, les emballages adoptés par les fleuristes de l'ex place Pietri restent simples, en comparaison avec les design innovants et les nouvelles tendances qui submergent le domaine floral.
En outre, bien que les propriétaires bénéficient d’un local gratuit et ne payent que les factures d'eau et d'électricité, avec les rémunérations de leurs employés, ils doivent s’acquitter de taxes annuelles s'étalant, selon le chiffre d’affaires réalisé, entre 2.000 et 7.000 DH.
Malgré ces difficultés qui plombent l’activité depuis des années, le marché aux fleurs de Rabat est toujours en vie. Sa longévité, il la doit irréfutablement à son passé glorieux et à la grande place qu’il occupe dans les cœurs des R’batis, en tant que site chargé d’histoire, de couleurs et de parfums.