«On cherche à défendre les intérêts des citoyens avant ceux des médecins». C’est ce que l’on retient des déclarations des représentants des médecins du secteur privé engagés avec l’Agence nationale de l’assurance maladie (ANAM) dans des négociations marathoniennes sur la révision des conventions nationales et la revalorisation de la tarification nationale de référence (TNR).
Obsolète depuis 2009, la TNR en vigueur sanctionne les patients, même ceux qui bénéficient de l’Assurance maladie obligatoire (AMO). Ceux-ci doivent débourser plus de 50% des frais des consultations par exemple pour couvrir le restant à charge, autrement dit la différence entre ce qu’ils décaissent et ce qu’ils perçoivent en remboursement de la prestation médicale par la Caisse nationale des organismes de prévoyance sociale (CNOPS) ou la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS), les deux caisses gestionnaires de l’AMO.
«Quand un patient consulte chez un médecin spécialiste, il paye au minimum 300 dirhams. Lorsqu’il dépose son dossier chez l’une des caisses gestionnaires de l’AMO, il est remboursé à hauteur de 150 dirhams conformément à la TNR de 2006», explique Said Afif, président du Collège syndical national des médecins spécialistes privés. «Cela est juste inadmissible!», tonne-t-il.
«Pour réduire le restant à charge, il est indispensable de revoir la tarification nationale de référence (TNR) qui doit faire l’objet de révision tous les trois ans. Nous devrions actuellement être à la sixième révision alors qu’on n’est même pas à la deuxième», poursuit Said Afif.
Un cadre conventionnel pour enclencher le processus
Le 6 janvier 2023, Khalid Aït Taleb, ministre de la Santé et de la Protection sociale, a fait un pas en avant pour rattraper le retard et concrétiser une révision tant attendue de la TNR. Lors d’une réunion avec les représentants des médecins et médecins dentistes du secteur privé, et avec le président du Conseil national de l’Ordre des médecins, le ministre a présenté un cadre conventionnel qui pose les jalons d’un nouveau cadre méthodologique pour l’élaboration des futures conventions nationales. Il a par la suite chargé le directeur de l’ANAM de mener les négociations avec les prestataires de soins pour finaliser lesdites conventions.
«C’est le dénouement d’une longue série de réunions entre les prestataires des soins, le directeur et les responsables de l’ANAM, et les directeurs des services du ministère de la Santé et de la Protection sociale concernés par l’AMO», a précisé Said Afif. «Il s’agit d’un pas important vers l’adoption de nouvelles conventions nationales et par conséquent vers la révision de la TNR», poursuit le médecin, optimiste.
De son côté, Ahmed Ben Boujida, président du Syndicat national des médecins du secteur libéral, ne partage pas l’optimisme de son collègue. «Ce cadre conventionnel pose les bases des conventions entre les prestataires de soins et les caisses gestionnaires de l’AMO. Toutefois, nous ne l’avions pas signé en l’absence d’une nouvelle TNR et d’une nouvelle nomenclature générale des actes professionnels», explique-t-il.
Le représentant des médecins du secteur libéral appelle ainsi le gouvernement et le ministère de la Santé et de la Protection sociale à accélérer l’adoption d’une nouvelle TNR pour enclencher une «vraie réforme du système sanitaire» et surtout à «y impliquer davantage le secteur privé, étant un partenaire indispensable au secteur public».
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La TNR de 2020 pour commencer
Alors que le président du Syndicat national des médecins du secteur libéral réclame l’adoption d’une nouvelle TNR avant d’entamer les négociations sur les conventions nationales, son collègue Said Afif appelle à l’entrée en vigueur des TNR de 2020.
Pour rappel, ces dernières ont été adoptées le 13 janvier 2020 par l’ANAM, la CNSS et les prestataires de soins, sans être appliquées à cause du véto du ministère de l’Économie et des finances, qui assure la tutelle sur la CNSS, et du Secrétariat général du gouvernement (SGG).
La raison évoquée pour ce blocage est le refus de la CNOPS de signer ces conventions. Son président, Abdelaziz Adnane, avait justifié sa décision par les impacts négatifs de cette revalorisation des TNR sur les régimes de l’AMO, les couvertures complémentaires, les régimes subventionnés par l’État et la mutuelle des FAR.
Ce qui changera pour les patients
En cas d’entrée en vigueur de la TNR de 2020, les tarifs de plusieurs actes seront revus à la hausse. Ainsi, le tarif d’une consultation chez un médecin généraliste passerait de 80 dirhams à 150 dirhams et de 150 dirhams à 250 dirhams pour la consultation chez un médecin spécialiste.
La consultation chez un psychiatre ou neuropsychiatre serait indemnisée à hauteur de 290 dirhams au lieu de 190 dirhams, et chez le cardiologue (consultation + ECG) grimperait de 250 dirhams à 350 dirhams.
Les actes pratiqués par le kinésithérapeute, l’orthoptiste ou l’orthophoniste seraient remboursés à hauteur de 120 dirhams la séance au lieu de 50 dirhams, précise-t-on dans les conventions de 2020.
Cette revalorisation toucherait aussi les frais d’hospitalisation. Ceux-ci passeraient de 550 à 850 dirhams par jour pour une hospitalisation en médecine, de 1.000 à 1.500 dirhams pour une hospitalisation en soins intensifs et de 1.500 à 2.500 dirhams pour une hospitalisation en réanimation.
Les revendications des blouses blanches
Lors de la réunion du 6 janvier 2023, le ministre de la Santé et de la Protection sociale a donné un délai de 10 jours aux représentants des médecins du secteur privé pour apporter leurs remarques sur le cadre conventionnel.
Délai écoulé, les présidents des syndicats ont bel et bien soumis leurs «revendications» au directeur de l’ANAM. «Nous avons demandé à ce qu’on adopte une convention pour chaque catégorie de prestataires de soins (médecins généralistes et spécialistes, cliniques privées, médecins dentistes, etc., NDLR)», fait savoir le président du Collège syndical national des médecins spécialistes privés. «Cela permettra, en cas de non-respect desdites conventions d’identifier la partie responsable», poursuit le médecin.
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Une autre revendication: réduire le délai de remboursement des médecins et des dossiers de soins par les caisses gestionnaires de l’AMO. «Il faut faire en sorte que l’indemnisation des médecins et le remboursement des dossiers de soins ne dépassent pas trois mois», note Said Afif. De son côté, Ahmed Ben Boujida exige d’établir un délai maximal d’un mois.
Le Collège syndical national des médecins spécialistes privés revendique aussi pour qu’on adopte les nouvelles conventions nationales et les généralise «même au cas où une entité refuse de les signer», précise son président. Une revendication imposée par le blocage qui a tué dans l’œuf l’adoption des conventions nationales de 2020 en l’absence de la CNOPS.
Pour ce qui est de la TNR, le Collège syndical appelle le ministère de la Santé et de la Protection sociale à une révision générale des TNR. De son côté, Ahmed Ben Boujida, président du Syndicat national des médecins du secteur libéral exige une fixation de la TNR à 200 dirhams pour les médecins généralistes, et 300 dirhams pour les médecins spécialistes. «Il convient de préciser que les consultations ne représentent que 3,5% des remboursements. La plupart des patients ne consultent qu’en cas de problème sérieux ou de complication à cause des faibles taux de remboursement. Si on incite les citoyens à consulter plus fréquemment, cela réduirait de 25% les dépenses de santé des patients et des caisses gestionnaires de l’AMO», explique Ahmed Ben Boujida.
En plus de la revalorisation des TNR, le Syndicat national des médecins du secteur libéral appelle aussi à donner la possibilité aux médecins du secteur libéral de dépasser cette tarification, si nécessaire, sans pour autant faire l’objet d’une sanction en cas de dépassement.
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Aussi, le syndicat revendique le paiement des médecins libéraux via leurs comptes par les organismes gestionnaires de l’AMO, après l’exercice de leur fonction dans les cliniques privées (séparation des honoraires). Il réclame aussi l’actualisation de la nomenclature générale des actes médicaux (NGAM) et de la Classification commune des actes médicaux (CCAM).
D’abord la nomenclature…
Interrogé par Le360 sur la revalorisation de la TNR, le ministre de la Santé signale que celle-ci doit passer par la mise en place d’une nouvelle nomenclature générale des actes professionnels, ajoutant que la nomenclature en vigueur est «obsolète et dépassée».
«Il y a plusieurs actes médicaux qui ne figurent pas dans la nomenclature générale des actes professionnels (NGAP) en vigueur. Dans les CHU, par exemple, les conseils d’administration fournissent beaucoup d’efforts d’assimilation des actes pour les intégrer dans la nomenclature», indique-t-il.
La proposition de cette nouvelle classification commune des actes médicaux a déjà été soumise aux parties concernées pour étude, fait savoir le ministre dans une interview accordée à Le360.