Samedi 27 juin à midi. Un soleil de plomb est à son zénith à Inezgane. Quelques “ferrachas”, installés devant un imposant mur d’enceinte aux arcades indiquent la présence d’un souk. Pas de bruit mais une odeur nauséabonde provenant de fruits et légumes pourris abandonnés et qui font le régal des mouches laisse deviner la présence de vendeurs la veille. Le ramadan semble avoir eu raison de ces quelques commerçants affalés sur leur chaise et surveillant à peine leurs marchandises. C’est dans ce souk qu’une affaire qui fait grand bruit, en ce moment, a éclaté. Le 18 juin dernier, le journal Assabah a révélé que deux jeunes filles de la ville font l’objet de poursuites pour outrage public à la pudeur. Elles ont été arrêtés ici en raison de leur tenues vestimentaires jugées légères.
À l’intérieur du souk, sur les étales, des burqas côtoient des soutien-gorges et des mini jupes ; des maillots de bain s’affichent aux côtés de caftans brodés ; certains commerçants étalent même leur tapis de prière sur des nuisettes en dentelles proposées à la vente. Néanmoins, dès lors qu’on évoque le sujet des « filles dénudées » avec des commerçants, les visages se crispent et les mots se font rares. Tous nous renvoient vers la porte 6. “C’est là où tout s’est passé”, nous indique un vendeur. “Elles sont rentrées dans ce magasin de maquillage pour se protéger des agresseurs en attendant l’arrivée de la police”, poursuit- il. Le propriétaire de la boutique, la quarantaine, refuse de s’exprimer face à notre caméra. “Je ne vois pas l’intérêt de parler de cette affaire en public. Il y a des causes qui méritent d’être discutées, d’autres pas ! Mais en gros, les filles sont passées par là, il y avait un monde fou qui les harcelait, je leur ai donc proposé de rester dans mon magasin et j’ai appelé la police. Voilà tout”, nous déclare-t-il avant de nous indiquer la sortie. A l’extérieur, nous avons néanmoins pu recueillir des témoignages qui permettent de restituer dans le détail le fil des événements, mais aussi de donner une indication sur la mentalité des commerçants de ce souk. Et on trouve de tout les genres…
Il est 14H, nous sommes devant la préfecture de police d’Agadir. Quelques dizaines de manifestants sont venus protester en signe de solidarité avec les jeunes filles. Une estafette est garée non loin de la wilaya, quelques agents de police adossées au véhicule, bras croisés. Des voix s’élèvent et des slogans se brandissent. «Mettre une robe n’est pas un crime !»peut-on lire parmi les slogans. Pas de débordement. En une heure à peine, la foule commence à se disperser… Mais où sont les deux filles, les principales concernées? Une source nous a renseigné sur leur lieu de travail : un salon de coiffure, dans un quartier situé à la périphérie d’Agadir.
22h, au quartier Al Qods à Agadir. Les rues sont étroites, mal éclairées et les maisons entassées. Quelques jeunes par-ci par là adossés au mur semblent avoir pour seuls loisirs: tirer sur une cigarette et scruter les passants. Interpelé, l’un d’entre eux nous indique avec enthousiasme le salon de coiffure recherchée. «Salon Soumiya », c’est son nom. Un rideau de perles fait office de porte d’entrée. Aussitôt franchi, une jeune femme tenant son smartphone dans la main et s’adressant à ses copines interrompt soudain sa phrase et son sourire. «Hey, les filles, venez voir la vidéo la manifestation organisée pour vous», disait-elle avant de croiser notre regard et partir se réfugier dans une pièce annexe du salon. Sa collègue quant à elle, manifeste une certaine gêne lorsqu’on aborde le fameux sujet avec elle: «Les filles ne sont plus à Agadir. Elles ont décampé après ce qui s’est passé», nous affirme-t-elle entre deux coups de brushing, le sourire réprimé. «Elles vont se marier et leurs futurs conjoints refusent qu’elles s’expriment encore sur la question… De toute façon, je ne comprends pas pourquoi on en fait tout un plat ! », poursuit-t-elle, mettant fin à la discussion.
Nous avons beau nous montrer insistant, les deux jeunes femmes refusent de nous livrer leurs versions des faits. Leurs copines nous assurent qu’elles se sont fait agressé au lendemain de leur témoignage à la télévision. Aujourd’hui, elles rasent les murs et tentent de rester dans l’anonymat en attendant l’issue d’une affaire qui semble les dépasser. Elles seront devant le juge le 6 juillet.