Aboubakr Harakat, sexologue: «l’ère de la Siba est de retour»
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Cette agression dans le bus marque une sorte de retour de la Siba. Vous savez quand on dit Siba, on parle de l’état de non-droit, d'une situation dans laquelle personne n’obéit plus à personne. Aujourd’hui, c’est une tentative de viol sur une handicapée mentale, demain tout un bus sera réquisitionné par quelqu'un qui mettra un couteau sous la gorge du chauffeur.
Le retour de la Siba s'explique par plusieurs données. Il n’y a plus d’éducation ni à la maison ni à l’école, et à partir de 12, 13 ans, nos adolescents s'adonnent à différentes drogues. Ils agissent sous l’effet de la drogue et les parents sont soit démissionnaires soit dépassés.
Il n’y a plus d’espace où les jeunes peuvent déverser ou canaliser leur force et leur créativité. Il y a aussi cette prolifération d’armes blanches qu’on trouve partout. Tous les ingrédients sont réunis pour devenir agressifs, pour commettre une agression.
On ne peut pas miser sur le tout sécuritaire, mais il faut par ailleurs revoir tout le système préventif et punitif concernant l’usage de la drogue et les crimes commis sous l’effet de la drogue.
Fouzia Assouli, présidente de la Fédération de la ligue démocratique des droits des femmes: «Cette agression n’est pas un fait divers»
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L'heure est grave. Découvrir la vidéo de cette agression dans le bus a été pour moi très difficile. J'ai été à la fois touchée et scandalisée, c'est un échec total des méthodes de socialisation. Et ce qui m’a le plus choqué, c’est la passivité.
Cette agression n’est pas un fait divers. Elle représente une source de questionnement pour toute la société civile.
Ce n’est pas un fait divers. C’est trop grave, cela signifie une perte totale du respect, des principes. Le projet de loi sur la violence est en instance depuis 2006, depuis Yasmina Badou. Cette loi n’a pas encore vu le jour et il y a eu du laxisme. Nous avons déposé des plaintes pour harcèlement, et elles ont été classées sans suite.
Je n’arrive pas à réaliser que cela se passe au Maroc et sans que personne ne bouge. Cette passivité nous invite à croire que tout le monde a démissionné. Un réveil de la société s'impose.
Jaouad Essounani, metteur en scène: «Nous subissons le flux ininterrompu du nouveau monde»
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J'en ai pris connaissance très tôt ce matin, vers 2 heures. Vous savez, cela fait longtemps que j’ai pris de la distance et que je n’exprime plus mes opinions politiques. Je ne partage plus mes opinions politiques, mais cette vidéo m'a fait sortir de ma retraite.
Au risque d’être cynique, je vais vous dire, ça me surprend plus, car le désengagement de l’Etat est total. Ce désengagement total donne lieu à un désengagement de l’individu puis de la communauté. Le Maroc est en proie à une confusion des valeurs.
Cela est dû à l’ignorance. L'homme en est aussi la victime, comme la femme. Celle-ci est en quelque sorte victime de la victime.
Avant, nous avions de grands chercheurs en sciences humaines, des artistes, des écrivains qui jouaient le rôle de sismographes de la société. Nous les avons perdus. Ils ont soit été délaissés soit ils sont morts. Plusieurs sociologues n’ont cessé de nous prévenir, de nous mettre en garde, car ils voyaient venir ce que nous vivons aujourd’hui.
Le malheureux dans tout cela, et ce que je remarque à titre personnel, c’est que nous sommes toujours dans l’effet et non pas dans les faits. Nous sommes en train de subir le flux ininterrompu du nouveau monde. Mais la bonne nouvelle, c’est que l’art et la culture constituent le véritable remède pour imposer une pause à ce flux.