Suite à une série de reportages et de témoignages, une vive polémique a éclaté concernant la prise en charge par les cliniques privées des personnes atteintes par le Covid-19.
Des cliniques ont demandé 60.000 dirhams d’avance en espèces ou en chèque, à titre de caution, avant de prendre en charge les patients. Or, le recours au chèque de caution est une pratique illégale, punie par la loi. Cela dit, les cliniques privées n’ont pas attendu le Covid-19 pour demander des chèques de caution, c’est une pratique courante au Maroc.
Le problème de fond est la différence qui existe entre la grille tarifaire concernant la prise en charge des cas Covid établie par l’Etat et les frais appliqués par les établissements privés, car des témoignages rapportent que certaines cliniques ont demandé des sommes mirobolantes après l’hospitalisation des patients.
Lire aussi : Covid-19: patients vs cliniques privées, la polémique continue d’enfler
Pour les soins intensifs, l’Etat a fixé le prix à 1.000 dirhams et pour les soins en réanimation à 1.500 dirhams. Pour les cliniques privées, ces tarifs ne correspondent pas à la réalité et ne couvrent même pas les coûts, comme l'explique le professeur Jaâfar Heikel, épidémiologiste et spécialiste en maladies infectieuses.
«Pour les soins intensifs, il faut compter 1.733 dirhams pour les charges du personnel, 1.304 dirhams pour le consommable, 1.700 dirhams pour les dépenses de pharmacie et les examens complémentaires et enfin 408 dirhams pour les charges de structure. Ça nous fait un total de 5.145 dirhams en soins intensifs, si vous passez 6 jours en soins intensifs, la facture est de 30.870 dirhams. Si vous faites le même exercice en réanimation, on va passer à 8.087 dirhams par jour et si vous passez uniquement 6 jours en réanimation. Or, il faut tabler sur une période de 10 à 14 jours quand le patient est en réanimation, la facture totale passe à 48. 500 dirhams», détaille le professeur Jaâfar Heikel, rappelant que cela représente uniquement les coûts de la prise en charge des patients Covid-19.
Interrogé sur les sommes mirobolantes et les chèques de garantie exigés par certains établissements de santé privés, le professeur en médecine répond: «c’est très important de ne pas généraliser. Le citoyen se retrouve dans une situation de stress avec l’hospitalisation d’un proche, il doit fournir une avance dont il ne dispose pas. De l’autre côté, nous avons des chèques impayés, des chèques en bois. Cela crée une tension et malheureusement des incompréhensions, et dans certaines situations, il y a des dérapages de part et d’autre, qu’il faut éviter. L'important c’est la prise en charge médicale du patient. Dans le public, quand le patient ne paye pas, les coûts sont pris en charge par l’Etat, par les impôts, mais les coûts sont là et quelqu’un doit les payer».
Le ministère de la Santé a, quant à lui, réagi en rappelant le caractère illégal du recours au chèque de caution et a annoncé, via un communiqué, la création d’une commission centrale ainsi que des commissions régionales, qui seront chargées du suivi et du contrôle de la prise en charge des malades atteints du Covid-19 dans les cliniques privées.
Dans ce même communiqué, le ministre de la Santé a souligné l'impératif de respecter le protocole et les tarifs référentiels, affirmant que tout dépassement sera traité avec vigueur et qu'en même temps, des solutions aux contraintes des cliniques privées seront recherchées, notamment en ce qui concerne le coût de la prise en charge des patients Covid-19.
«Le Ministre sait qu’aujourd’hui le tarif national de référence ne peut pas répondre à une réalité de terrain, une réalité économique. Il est important de faire le compromis, la juste mesure et le juste prix des choses. Il faut trouver le moyen d’assurer l’équilibre financier des établissements de soin qu’ils soient publics ou privés», indique le professeur Jaâfar Heikel.
Cette crise est cependant révélatrice d’un autre problème, datant d’avant le Covid-19, celui de la confiance des citoyens envers le système de santé dans son ensemble.
Lire aussi : Cliniques privées: des commissions contrôleront la prise en charge pour le Covid-19, annonce le ministère de la Santé
«Je pense que la priorité, c’est de rétablir la confiance, pas entre le citoyen et son médecin, mais entre le citoyen et le système de santé dans sa globalité. Le citoyen doit avoir confiance en son système de santé qu’il soit public ou privé. Et si on n’envisage pas ce système de santé avec, à la base, une couverture sanitaire universelle qui permette d'accéder aux deux bras fondamentaux que sont le public et le privé, on échouera à réinstaurer cette confiance fondamentale et essentielle vis-à-vis des services de santé», souligne le professeur en médecine.
La crise du Covid-19 marquera sûrement le départ d’une refonte du système de santé marocain, notamment avec la création de la couverture sanitaire universelle initiée par le roi Mohammed VI.
«Le rôle de l’Etat reste important, il doit être régulateur, évaluateur et contrôleur et il doit jouer un rôle de facilitateur entre le public et le privé. La santé n’a pas de prix, mais elle a un coût. Réfléchissons ensemble à comment financer ce coût, mais pas au détriment de la santé des citoyens, mais pas non plus au détriment des professionnels de santé ou de l’Etat», conclut le professeur Jaâfar Heikel.