Une phrase, lourde de sens, a été diffusée sur les ondes d'une radio bien de chez nous, 100% hits, 100% jeunes. C'était lors d'une matinale à grande audience, animée par un présentateur fameux. Une phrase révélatrice de l'état d'esprit d'une époque, la nôtre.
Pour «ambiancer» et «gamifier» son programme, cet animateur, au pseudo à la double syllabe bien reconnaissable, lance régulièrement des quiz auxquels les auditeurs et auditrices sont invités à répondre par des appels téléphoniques ou des textos WhatsApp.
La question du jour était la suivante: qu'aimeriez-vous devenir et que souhaitez-vous faire de votre vie?
Après tout, nous sommes entre jeunes, les rêves (même les plus fous) sont encore permis et ce ne sont pas les projets de carrière et de vie qui devraient, manquer, en principe.
C'est surtout la réponse d'une des auditrices, une réponse symptomatique, à bien des égards, de toute une génération, qui laisse pantois. «Vous savez, l'idéal pour moi serait d'arrêter de travailler, quitte à sacrifier la moitié de mon salaire actuel. Le rêve serait de ne pas avoir à me rendre au bureau», a-t-elle déclaré ingénument.
Cette petite phrase aurait pu être drôle, mais la jeune fille en question s'exprimait on ne peut plus sérieusement. Son «rêve» est, en fait, reconnaissons-le, partagé par une infinité de jeunes d'aujourd'hui, au Maroc: ceux que l'on appelle les «Millennials». Voilà bien notre drame.
Autre «merveille» du même acabit, ce jeune enfant de dix ans qui, face à ses premières difficultés scolaires, interpelle sa mère:
«-Dis maman, est-ce qu'il faut être bon en maths pour devenir une star du show business?
-Pas forcément! Mais pour être vétérinaire, et c'est ce que tu souhaites, certainement...
-Ça y est, je ne veux plus devenir vétérinaire. Je vais être une star».
Le constat est universel. Le cantonner aux seuls jeunes Marocains est aussi stigmatisant qu'erroné. Mais peut-on se le permettre chez nous, où tout, ou presque, reste à faire? Eduqués, formés, bien informés et, pour bon nombre d'entre eux, bien insérés professionnellement et avec des talents avérés, ces «petits monstres» sont parmi nous. Ils sont partisans du moindre effort. Un travail, ce n'est, ni plus ni moins pour eux, qu'un moyen de s'assurer quelque argent de poche tout juste suffisant à couvrir un train de vie bien plus riche et ambitieux que les moyens à leur disposition.
Tout justes débutants, ils sont déjà démissionnaires, et de la vie elle-même, avec ce qu'elle implique comme effort, sueur, gravissements, mérite. Ce n'est que contraints et forcés qu'ils participent à la vie active. De là à parler de projet de carrière, d'acharnement, d'abnégation au travail pour le réaliser, de réussite... Ils n'en sont pas là... Pire encore: ils s'en tamponnent un peu.
Censés porter le pays aujourd'hui et demain, ils sont (et certains ont passé l'âge) toujours supportés (dans tous les sens de ce terme) par leur famille, puisqu'incapables de s'assumer. Supposément aptes à nourrir des projets à encourager et accompagner, à même de les aider à briller et, chemin faisant, à donner l'exemple, ils préfèrent se cacher derrière leurs écrans, leurs illusions et cette certitude qu'ils méritent mieux. Non parce qu'ils apportent de la valeur, qu'ils défient les contraintes et qu'ils avancent. Mais uniquement parce qu'ils ont ce mérite d'exister.
Adieu cette génération qui entretenait parents et enfants, et bienvenue à celle qui se croit avoir droit à tout, sans rien consentir. Oubliée la notion sacrée de mérite pour que subsiste la malice d'en faire le moins possible. Certains y déploient au demeurant une énergie folle (qu'ils pourraient d'ailleurs consacrer à produire efficacement).
Cette situation nous tombe dessus, alors que l'on se débat avec ces contingents de «diplômés-chômeurs», qui ne rêvent que d'une chaise dans une administration publique sur laquelle ils pourraient jeter leur veste pour aller ensuite passer la journée au café d'en bas, à y siroter un café qui s'éternise, tout en étant confortés dans l'idée de percevoir un maigre salaire et de pouvoir s'en plaindre pour le reste de leurs jours.
Après la génération dorée des années soixante-dix, le Maroc a eu à souffrir d'une autre génération, celle-ci sacrifiée, qui a fait office de bouche-trou social, de poule aux œufs d'or fiscale et de machine à rattraper tous les retards en matière de développement. C'est cette même génération, celle dite de la classe moyenne, travailleuse, endurante, résolument optimiste, qui nous fabrique aujourd'hui une autre génération. Celle des éternels assistés, ces «petits monstres» en puissance.
Que peut-on attendre alors de ces millions de jeunes concitoyens vivant dans un confort tantôt absolu, tantôt relatif, mais qui croient qu'argent et notoriété peuvent encore tomber du ciel sinon, le monde est mal fait?
A qui la faute? La réponse est bien simple: à ces parents qui les entretiennent sans les avoir éduqués, qui les financent sans rien leur demander de retour, et surtout pas de s'assumer et d'être autonomes, et qui se saignent aux quatre veines, ne sachant même plus pourquoi.
Ceux qui en ont les moyens tentent de compenser leur manque de temps et d'énergie pour être près de leur progéniture en cédant à la facilité de tout lui accorder. Les plus démunis se plient en quatre pour que leurs enfants ne se sentent en manque de rien ou surtout pas en infériorité devant quiconque. Le résultat est le même: nous nous trouvons face à une armée de blasés, qui croient que tout leur est dû. Sans jamais s'émerveiller de quoi que ce soit.
Bret Easton Ellis, un des auteurs cultes des années 80 et 90, notamment avec son sulfureux «American Psycho», a publié «White», au printemps dernier. Il s'en prend à ces Millennials, sans faire montre de la moindre pitié à leur égard. «Je n'ai rien à leur dire, ils n'écoutent même pas. Eux, c'est le culte de la victimisation», dit-il dans une interview.
La solution est à chercher dans l'effort. C'est comme ce père de famille qui, à chaque fois que sa fille lui demandait un instrument de musique, et elle savait en jouer, exigeait qu'elle pose sur la table la moitié de son prix. Et c'est à ce prix seulement qu'elle obtenait ce qu'elle convoitait. Voir sa maturité et sens de la responsabilité aujourd'hui, c'est comprendre le bien-fondé, et toute la sagesse, de cette salutaire démarche.
Ne nous interrogeons pas sur quel pays nous allons laisser à nos enfants, mais quels enfants nous sommes en train de préparer pour notre pays.