La violence aura toujours quelque chose à voir avec la jeunesse. Les uns vont comprendre, les autres n’y arriveront jamais. C’est comme ça. Nous parlons ici de violence collective, celle qui peut s’emparer d’un groupe de personnes galvanisées, justement, par le «groupe».
Ce groupe, comme peuvent nous l’expliquer les sociologues, agit comme détonateur. Il libère les énergies. Sans être nécessairement violent, chacun des jeunes le devient, en étant contaminé à son tour par cette montée d’adrénaline collective. Et c’est à qui cassera le plus, la surenchère devenant la règle.
Il faut absolument poser ce préalable avant d’analyser, même si le terme est trop ambitieux, la violence qui s’est emparée de la dernière édition du Boulevard. Il ne s’agit pas d’excuser ou de minimiser quoi que ce soit. Mais, avant de condamner, il faut comprendre et mettre les choses dans leur contexte, pour éviter les généralités et les solutions faciles.
On ne peut pas dire, simplement: stop, arrêtons tout, annulons ce festival qui déchaine tant de violence. Non. L’adage marocain, qui vous dit de fermer la porte qui laisse rentrer le vent, ne marche pas. Pas ici.
La violence du Boulevard est la même que celle du foot, c'est-à-dire aveugle et totale et stupide. Ce n’est pas le Raja ou le Wydad ou l'AS FAR qui rend les jeunes violents, ce n’est pas une question de victoire ou de défaite. Ce n’est pas la gratuité qui rend les gens fous, ce n’est pas le public du rap «qui est comme ça».
C’est la société qui est comme ça!
Il ne faut pas tomber dans le piège de la stigmatisation. On ne peut pas dire: «Laissons-les s’entretuer loin des néons, entre eux, dans leur ghetto». Il n’y a pas que la pauvreté et la marginalisation à prendre en compte pour «réparer» la violence collective. Et il n’y a pas que la contre-violence, celle de l’Etat avec ses gros moyens, son tout-sécuritaire, non plus.
Un concert de musique dite jeune (rap, raï ou rock) aura toujours un risque d’incidents plus grand. On n’y va pas comme à un récital de musique classique. Il faut alors redoubler de vigilance, et pas seulement sur place mais aussi sur les principaux axes menant au site. Il faut aussi organiser et encadrer les transports publics, y compris à la sortie. Ce qu’on oublie souvent de faire!
La violence ne commence pas en face de la scène mais bien loin, dans la ville ou sa périphérie. Elle se prolonge aussi après. Avant et après, les bandes organisées ne vont pas rester les bras croisés.
Ce qui s’est passé avec L'Boulevard, c’est ce qu’on voit souvent avec les matchs de foot au sommet. Mais, contrairement au foot, on ne peut pas organiser des concerts à huis clos!
Assurer la sécurité de concerts gigantesques, qui peuvent drainer jusqu’à 100.000 personnes, cela s’apprend aussi. On n’a pas, ou plus, trop l’habitude. Ce n’est pas un jeu d’enfant. Il y a des normes et des dispositifs qu’il faut mettre en place. Le risque zéro n’existera jamais, et ce n’est pas une raison pour jeter le bébé avec l’eau du bain.
L'Boulevard est le principal rendez-vous «jeune» du pays. C’est une bouffée d’oxygène, un exutoire. Des milliers de jeunes y affluent de tout le Royaume. C’est un événement national et ses problèmes aussi ont une portée nationale, pas seulement casablancaise. C’est cela que l’on doit comprendre.
Avec la gratuité et l’inexistence de pré carré VIP, ce festival a créé un esprit formidable, une démocratie, un espace alternatif. C’est une fierté qu’il faut absolument préserver, comme un bien précieux. Tout cela a bien sûr un prix, qu’il faut négocier. Car L'Boulevard grandit, ses problèmes et son coût aussi.