Celui qui n’a rien ne peut rien donner…

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ChroniqueAucun parti politique marocain, à commencer par celui qui a gagné les deux dernières consultations, n’est capable de fournir à lui seul (si on lui en donnait l’opportunité, bien sûr), un gouvernement «clés en main», complet et surtout compétent.

Le 12/10/2019 à 14h07

En une phrase, le remaniement gouvernemental est un dégraissage qui fait la part belle aux SAP, les «sans appartenance politique» que l’on appelle aujourd’hui "technocrates". Sur les 23 membres du nouveau cabinet El Othmani, il y a 9 SAP, soit près de 40%. C’est beaucoup. Et encore, certains parmi les 14 ministres politiques n’ont été «étiquetés» qu’à la veille de leur nomination.

La combinaison entre le dégraissage et le retour en force des technocrates peut signifier que l’idée majeure est d’aller plus vite, en étant moins nombreux et moins encombrés par une attache partisane. Surtout que ce gouvernement n’est là que pour assurer une transition qui nous mènera vers «l’année de toutes les élections», 2021, qui sera très attendue par les Marocains.

Si la réduction du nombre de ministres tombe sous le sens, tant elle était nécessaire, la «technocratie» interpelle. Elle pose avant tout un problème moral parce que, théoriquement, les ministres sont censés appartenir aux partis (et donc aux idées, aux programmes) pour lesquelles les citoyens ont voté.

Quand ce n’est pas le cas, on dit que le système politique et la démocratie sont malades.

C'est le cas du Maroc aujourd’hui ?.

Il y a un vieux diction arabe qui dit que «celui qui n’a rien ne peut rien donner». Les partis politiques marocains, à commencer par celui qui a gagné les deux dernières consultations, comprennent ce diction mieux que personne. Aucun parmi eux n’est capable de fournir à lui seul (si on lui en donnait l’opportunité, bien sûr), une équipe «clés en main», complète et surtout compétente. C’est impossible.

Ceux parmi vous qui ont eu l’occasion de voyager et de rencontrer des décideurs politiques européens ou américains savent comment, chez «ces gens-là», fonctionne un parti de l’intérieur. Même quand il est dans l’opposition, il a pratiquement un gouvernement en interne avec le chargé de la santé, de la justice, de l’économie, de la culture, etc. Dès qu’ils gagnent les élections, ces chargés deviennent ministres et l’affaire roule toute seule.

C’est une chance que le Maroc n’a pas. Mais cette chance n’est pas un cadeau du ciel, elle ne va pas de soi. Il faut la mériter. Il faudrait tout un contexte, une tradition, une très longue et très forte accumulation, pour arriver à ce résultat.

La gauche marocaine et le parti de l’Istiqlal avaient cette tradition. Beaucoup de militants sincères étaient des cadres d’un très haut niveau, certains avaient même le potentiel d’authentiques hommes d’Etat.

Mais les temps ont changé et ces compétences sont devenues très rares aujourd’hui. Parce qu’elles fuient les partis politiques, elles ne militent plus. Pour le dire autrement, elles n’y croient plus.

Que faire alors?

La crise que connait le Maroc se situe à ce niveau aussi, il faudrait être aveugle ou hypocrite pour ne pas le voir. Les partis politiques marocains, à commencer par les islamistes si fanfaronnants pourtant, n’ont pas et ne sont pas capables de produire tout un gouvernement clés en main. Complet et surtout compétent. C’est un problème de plus pour le présent et le futur proche de ce pays jeune qui a les yeux plus gros que le ventre.

Et c’est dommage même si c’est le plus sympathique et le plus attachant des défauts.

Par Karim Boukhari
Le 12/10/2019 à 14h07