C’était Azemmour

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ChroniqueVoilà, c’était Azemmour, la ville des Laroui et de la mère du printemps comme disait Driss Chraibi. Cité ancienne, si riche d’histoire mais qui ressemble à un homme à qui on a coupé la langue. Muette, donc.

Le 27/07/2019 à 21h07

C’est quoi le tourisme local, est-ce que cela existe déjà, ça commence où et ça finit où, ça veut dire quoi au juste?

Je vous pose la question parce que je n’ai pas la réponse.

Je suis parti à Azemmour. Cette ville est un mythe. C’est la seule qui a été construite sur le flanc d’un fleuve. D’autres villes marocaines ont été bâties comme ça, face à l’eau, mais aucune n’a survécu.

Le Maroc a un rapport étrange à l’eau. Il a deux façades maritimes, des cours d’eau, mais il a érigé des cités qui tournent le dos à la mer, qui fuient l’eau, comme si l’eau n’était pas source de vie mais de danger, de mort.

Nous savons tous que Sebou est le seul cours d’eau navigable, au moins en partie, dans ce pays. Qui a déjà vu la couleur de l’eau du Sebou? Personne. Parce les eaux du Sebou ne sont sur aucune route, aucun trajet. Elles sont cachées, loin des villes, de la vie.

Même le Bouregreg, qui coupe la capitale en deux parties, est invisible. Les villes de Rabat et Salé se sont développées en tournant le dos à ce cours d’eau, cette source de vie. Les routes et les autoroutes ont fait la même chose, elles ont contourné cette eau que l’on ne saurait voir.

Azemmour n’a pas ce problème. Elle a été construite à l’embouchure d’un fleuve et d’un océan. Oum R’bia et l’Atlantique. Cette ville a un potentiel extraordinaire. Elle est unique dans ce pays où l’urbanisation et la civilisation se sont développées en fuyant l’eau.

J’ai visité Azemmour. Un ami, originaire de la ville, m’a prévenu: attention, m’a-t-il dit, c’est une ville morte. La mise en garde ne m’a pas découragé. J’ai eu tort. Azemmour est une ville morte. La ville nouvelle ressemble à un souk hebdomadaire et la ville ancienne, au potentiel fou, tombe en ruines. Des monuments juifs et portugais, dont une magnifique prison portugaise qui remonte probablement au XVIème siècle, existent. Mais comment y aller? Y pénétrer? A qui demander?

Voilà donc une cité au passé exceptionnel, à l’environnement sans pareil. Tout est là. Tout est encore là, devrais-je dire. Mais cette histoire unique n’est affichée nulle part, ce décor d’un autre âge est pratiquement à l’abandon.

Toute cette histoire et cette mémoire offrent un triste spectacle. Elles tombent en lambeaux, pratiquement. La casbah et la médina sont tristes, comme ces quelques graffitis et fresques qui salissent les murs, et comme ces rares et minuscules «boutiques» (ici une épicerie, là une boucherie, un tailleur ou un cordonnier) où les clients restent debout dans la rue.

A Azemmour, le promeneur, féru d’histoire et de culture, risque de rester sur sa faim. Et en parlant de faim, il faut oublier le poisson parce qu’il n’y en a presque pas dans cette cité bercée par l’eau du fleuve et de la mer. Il y a la kefta, cette fameuse viande hachée que l’on trouve dans les souks et moussems marocains.

Voilà, c’était Azemmour, la ville des Laroui et de la mère du printemps comme disait Driss Chraibi.

Cité ancienne, si riche d’histoire mais qui ressemble à un homme à qui on a coupé la langue. Muette, donc.

Par Karim Boukhari
Le 27/07/2019 à 21h07