Un jeune comédien marocain a créé le buzz en annonçant avoir renoncé à l‘art pour se consacrer à Dieu. Il dit chercher avant tout le repentir, la fameuse «tawba», en se réconciliant avec Dieu. Ce qui jette tout de suite une forme d’opprobre sur l’art, qui devient alors péché et activité répréhensible, en tout cas rejetée par Dieu.
Je vous en parle ici parce que l’information ou l’évènement, ce n’est pas qu’un comédien a renoncé à sa carrière. Mais qu’il considère l’art comme un péché.
Nous ne sommes pas dans une quête spirituelle mais dans un réquisitoire contre l’art. Remarquez que notre comédien n’a pas dit changer de métier, pour devenir imam et prêcher la bonne parole, ou aller servir bénévolement les lépreux. Il se retire de la scène en pointant l’art, diagnostiqué comme un obstacle sur le chemin de Dieu.
L’information, l’évènement, c’est que l’art est péché. Haram. Il est sale. Dieu ne peut pas aimer cela.
C’est terrible de penser cela. Je veux dire de continuer de penser cela. Malgré les progrès humains, cette idée régressive de diaboliser l’art continue de s’incruster dans les esprits, y compris dans le petit milieu artistique.
Au Maroc, comme dans le reste du monde dit arabe, beaucoup d’artistes chantent, dansent, jouent… Tout en gardant une puce à l’intérieur du crâne, un bip bien enfoui dans leur subconscient, qui s’allume de temps en temps pour dire: «Attention haram, péché!».
Qu’est-ce qui réveille brusquement la puce? Peut-être la pression sociale, qui n’arrête pas de matraquer des idées rétrogrades sur l‘art et le monde du spectacle, réduits à un circuit de débauchés et de vauriens. Peut-être aussi, diront les psychiatres, un choc émotionnel, la mort d’un proche, l’annonce d’une maladie, une grosse dépression cachée.
Le concerné parle d’une «sahwa» (éveil spirituel), d’une «tawba lillah» (repentir, pardon), là où les médecins évoqueront plutôt une régression mentale consécutive à une dépression.
Le plus dur, c’est que l’art, le pauvre, en paie le prix! Il devient le coupable idéal! L’ennemi de Dieu!
Nous avons vu des artistes célèbres qui renoncent à tout et renient leur passé, en portant tchamir ou voile intégral, et en cherchant la «tawba», le pardon, comme s’ils venaient de commettre un génocide. C’est leur liberté personnelle, bien sûr, mais ils se croient obligés de «tuer» l’art et la vie qu’ils ont tant célébrés. Et ils croient que c’est Dieu qui leur dicte leur nouvelle conduite.
L’art, c’est la débauche, c’est l’argent facile… Ou la misère finalement bien méritée, parce que châtiment de Dieu.
Quelle misère!
Quelle régression!
Cela nous ramène aux premières heures du jazz et du rock, considérés comme les musiques du diable (ce qu’elles sont finalement, mais pas au sens propre du terme!). Après tout, diront les esprits fermés à double tour, les Rolling Stones ont bien chanté «Sympathy for the devil» (sympathie pour le diable !).
Cela nous ramène aussi aux débuts de la peinture, quand elle s’écartait des motifs exclusivement religieux et devenait profane, et surtout de la photographie, que certains considéraient sérieusement comme l’œuvre d’un mauvais esprit.
L’art ennemi de Dieu, vous parlez d’une hérésie!