C’est un jour comme les autres sur BFM TV, petite reine des télévisions francophones dédiées à l’actualité. Entre deux plateaux dédiés au tueur fou de Nice, la présentatrice annonce une attaque de la coalition internationale contre les positions de Daech en Syrie. Le changement de ton est alors brutal. De la compassion, la jeune femme bascule dans une neutralité tout à fait étonnante. La journaliste n’arrive pas à dire grand-chose. Elle annonce l’attaque et signale vaguement, au passage, «des victimes civiles». La voix, si pure et claire, devient hésitante, incertaine, comme si la jeune femme était gênée et en même temps pressée d’en finir.
Pendant ce temps, l’écran est occupé par une image satellitaire qui dure deux secondes à peine. Plan moyen, fixe, en plongée. L’image est monstrueuse. Elle ressemble à un champ de tir ou à la cible d’un missile. Dans le cadre, plusieurs pâtés de maisons qui s’envolent les uns à la suite des autres dans une gigantesque fumée noire. C’est d’une horreur insoutenable. Nous sommes en train d’assister, l’air de rien, au «spectacle» ahurissant d’une ville «soufflée» et anéantie en un claquement de doigts. Comme dans un jeu vidéo. Un jeu de guerre. Mais un jeu d’enfant, dans lequel les maisons sont virtuelles et les morts comptent pour du beurre.
Ce n’est pas sur BFM TV mais ailleurs, sur Aljazeera, ou sur le Net, au hasard du surfing-zapping, que l’on peut glaner des bribes d’informations complémentaires sur cet effroyable bombardement. On nage en plein cauchemar et il est dur, très dur, de glaner des informations quand les victimes sont situées de l’autre côté d’une barrière imaginaire. Une barrière nommée Daech. Quand Daech attaque, les images, les informations et les analyses nous tombent littéralement dessus. Quand Daech est attaqué, c’est le blackout. Un écran noir ou alors un «traitement» de l’information totalement stupide, voire inhumain, qui ferait passer le bombardement d’une ville pour la bande-annonce d’un blockbuster hollywoodien.
Le pire, et nous le savons très bien, c’est que ce n’est pas une «armée de terroristes», comme nous aimerions le croire, qui est bombardée par la coalition qui veut sauver le monde, mais une population faite de femmes et d’hommes, et de beaucoup d’enfants.
Vous avez dit malaise? Sur internet, le site d’un journal prestigieux annonce «quelques dizaines de morts» sur sa page de garde. A l’intérieur, les «quelques dizaines» deviennent allègrement «quelques centaines». Une faute d’attention du webmaster ou des jeunes rédacteurs en ligne, dira-t-on. Oui, oui, sans doute…
Nous vivons une époque où la guerre des images est au moins aussi féroce que celle des hommes. Avant, on se posait la question de savoir ce qu’il était possible de montrer. Aujourd’hui, nous en sommes presque à souhaiter qu’une sorte de HACA à l’internationale, une instance d’arbitrage et de régulation, intervienne pour régler le temps d’antenne dédié aux drames des uns et des autres.
Les choses seraient beaucoup plus simples si le monde était un jeu vidéo et la guerre une bande-annonce d’un film où les bons sont d’un côté et les méchants de l’autre.