J’adore les débats futiles et les questions non prioritaires. Parce qu’ils offrent une liberté sans fin. On les aborde comme on rentre chez soi, avant de s’affaler sur un canapé quelconque: sans façon.
C’est dans cet état d’esprit que j’ai parcouru les pages d’un essai sur la laïcité. Question futile et non prioritaire s’il en est. Surtout dans un pays où on pense d’abord à manger et à boire. La vraie priorité, elle est là: manger et boire, trouver du travail, gagner de l’argent.
C’est ce qu’on dit!
Un essai sur la laïcité, qui plus est au Maroc, qui a d’autres besoins et d’autres priorités, voilà qui est bien futile. J’ai pourtant lu le texte avec un plaisir exquis, solitaire. En pensant qu’il a été écrit spécialement pour moi, et pour moi tout seul.
Le livre s’appelle «Plaidoirie pour un Maroc laïque» et son auteur s’appelle maitre Abderrahim Berrada. Il est avocat. Qui ne connait pas Berrada? Il a été l’ami personnel de Omar Benjelloun, dont l’assassinat en 1975 reste l’un des grands scandales de l’ancien règne. Près d’un demi-siècle plus tard, Berrada a encore les larmes aux yeux quand il se rappelle Benjelloun…
Il a fréquenté et défendu les étudiants et les militants des années 1960-70 qui ont tenté d’imaginer un Maroc meilleur. Il a perdu beaucoup de procès mais gagné la confiance et le respect de beaucoup de personnes. Je vais vous dire: Berrada est comme Don Quichotte qui se bat contre les moulins à vent, ou l’inspecteur Harry, celui qui ne renonce au grand jamais.
C’est pour cela qu’on l’aime. Pour sa capacité à continuer de s’émouvoir et de s’émerveiller, comme un enfant. 80 ans, revenu de tout, jamais blasé. Et ce n’est pas seulement parce qu’il est avocat. Les avocats sont des grands parleurs mais lui est aussi grand lecteur. Un doux rêveur, surtout. Avec son éternelle tête d’enfant. Son enthousiasme. Ses yeux qui brillent d’un regard alerte.
Et puis il écrit aussi. Je le lisais déjà dans la défunte Kalima, avec une chronique trop technique (le droit, c’est comme l’économie, il faut s’accrocher pour aimer) mais bien tournée. Une belle plume.
Que peut donc avoir à nous dire cet homme qui a tout connu, quelle est cette clé qu’il voudrait nous transmettre avant de nous dire peut-être au revoir? Eh bien, la clé c’est la liberté, et la mère des libertés c’est la laïcité.
Le livre de Berrada ressemble à ses chroniques de Kalima, parues dans les années 1980. C’est une démonstration. On avance par A+B. Il y est question de logique et de bon sens. La laïcité est la solution, mais il faut l’expliquer, il faut enlever les peurs.
Tout commence par «croire ou ne pas croire». La plus grande peur, elle est là. En laïcité, croire ou ne pas croire n’est plus une prison mais une liberté. Les plus grandes nations ont réglé cette question avant de pouvoir avancer, avant de construire des autoroutes, des ponts aériens, etc.
La priorité des priorités n’est pas de manger à sa faim mais de respirer. Etre libre. Dans son corps et dans sa tête. Une tête bien faite arrivera toujours à mieux manger.
C’est comme cela qu’on peut lire ce livre de Berrada. Un formidable pied-de-nez au sens des priorités et un appel à la liberté. La plaidoirie ne convaincra que les convaincus. Cela tombe bien puisque c’est à eux qu’elle s’adresse.