Non, désolé, je n’ai pas aimé le spectacle que nous ont offert, le weekend dernier, les ultras des deux grands clubs casablancais. Oui, le match qui a opposé le Wydad au Raja a été magnifique. Des buts, du suspense, des émotions, tout cela est beau. Mais…
Tout le monde a chanté les louanges de ce public merveilleux, formidable, passionné…et cultivé. Pas moi, non, désolé.
Les ultras ont utilisé deux symboles qui renvoient à la violence gratuite et stupide. «Room 101», qui a été inventée par George Orwell dans « 1984 », est une chambre de torture. Celui qui y rentre en ressort lobotomisé, à l’état de légume. C’est d’un fascisme absolu. Cette chambre sinistre représente la dictature de la pensée unique. Orwell s’en était servi dans son temps pour dénoncer la dictature en marche dans les années 1940.
Pour quelle raison, donc, est-ce que des jeunes gens à Casablanca revendiquent cet héritage? C’est quoi le rapport avec le football, le fair-play?
Notre merveilleux public ne s’est pas contenté de massacrer le pauvre Orwell. Ils s’en sont pris aussi à Anthony Burgess, créateur d’«Orange mécanique», dont ils ont profané le personnage principal, un faux-clown qui se fait appeler Alex (immortalisé par Malcolm McDowell dans l’adaptation cinématographique de Stanley Kubrick). Dans le livre comme le film, Alex est un voyou qui vole, viole, frappe et tue sans raison apparente. Un voyou de la pire espèce…qui finit lobotomisé à son tour.
Violence, sadisme, torture… Qu’est-ce qu’ils sont allés chercher nos ultras soi disant cultivés? Comprennent-ils la signification et le contexte de ces symboles? Ont-ils quelque chose à célébrer et à partager à part la violence et rien que la violence ?
Je vais vous donner un scoop. Vous savez quel sera le futur tifo de nos ultras ? Joker, comme le personnage de BD et de cinéma qui tue comme il respire. Encore un justicier fou et un suprême symbole de violence… Quand le tifo représentant le Joker fera son apparition, nos commentateurs vont encore s’extasier béatement: En plus ils sont cinéphiles, nos ultras, quel bonheur, que de culture!
Non mais!
Il faut quand même rappeler certaines choses. Nos ultras n’ont pas inventé la roue en allant chercher la chambre 101 et ce bon vieux Alex. Ces deux mascottes ont longtemps été brandies dans les bagarres de rue en Angleterre et plus tard dans d’autres parties du globe.
Utiliser ces deux symboles n’a rien à voir avec la littérature ou le cinéma. Et ce n’est pas d’une grande originalité. C’est juste des tics et des gimmicks pour justifier l’injustifiable, c'est-à-dire l’ultra ou l’hyper violence.
Les grands clubs de foot dans le monde ont des slogans, des «signatures», des hymnes, qui sont des phrases originales, pleines de sens, pleines de vie. Comme Liverpool avec «You’ll never walk alone» (tu ne marcheras jamais seul). Parce que le football, voyez-vous, ce n’est pas la guerre, ce n’est pas une chambre de torture ou un idiot qui viole et tue en écoutant de la musique classique.
La jeunesse marocaine, qui découvre encore cette culture des tifos, doit aussi apprendre à réfléchir. En Amérique Latine, continent roi des tifos, les clubs ont des slogans beaux à pleurer, les ultras brandissent encore les portrait de Simon Bolivar ou Che Guevara qui ont tant fait pour le continent.
Le «cirque» du weekend dernier s’est quand même soldé par un millier d’interpellations, dans le stade et aux alentours, un envahissement de terrain, des fumigènes qui ont pollué le ciel de Casablanca… Et des tifos qui sont des appels gratuits à la violence pour la violence, rien que la violence.
Et avec ça, on nous chante partout: nos ultras sont philosophes, ils connaissent Orwell et Kubrick, ils ont de la culture. Et puis quoi encore? Va-t-on attendre un tifo sur les sinistres chambres à gaz avant de trouver à redire?