Si les partis politiques marocains étaient des journaux, je n’en achèterais peut-être aucun. Pas envie. Je passerais devant sans les remarquer, sans m’arrêter.
Et je ne serais pas le seul!
La plupart portent des noms anachroniques, parfois absurdes. Les noms des partis sont comme les titres des journaux ou des livres: ils renseignent directement sur la marchandise et ils peuvent donner envie ou faire fuir à jamais.
Le parti qui peut décemment rivaliser avec les islamistes s’appelle l’Istiqlal. Il s’appelle TOUJOURS l’Istiqlal. J’aime beaucoup ce parti et son passé. Mais les gens ne votent pas pour le passé... Quand il est né dans les années 1930-40, l’Istiqlal, comme son nom l’indique, défendait l’indépendance du Maroc. Près de 80 ans plus tard, l’Istiqlal a gardé le même nom. Alors que le royaume est indépendant depuis plus d’un demi-siècle.
Un jeune Marocain en âge de voter ou, simplement, d’entrer en politique, pourra se demander : « Tiens, pourquoi s’appellent-ils encore Istiqlal? De quelle indépendance est-ce qu’ils parlent? Le Maroc n’est-il pas un pays indépendant ? ». A ce jeune homme, on répondra: «Il faut que tu votes pour ce parti parce que c’est lui qui a ramené l’indépendance, c’est lui qui a combattu le protectorat, encadré la résistance anticolonialiste, fait naitre le nationalisme marocain!». Avant de passer son chemin, probablement indifférent, le jeune homme pourra peut-être se dire: «D’accord, mais quel rapport avec les problèmes et les questions qui me préoccupent aujourd’hui?».
Qui pourrait répondre à ce jeune homme? Qui pourrait séduire ce Marocain d’aujourd’hui avec des arguments du passé?
Le problème avec l’Istiqlal rappelle le problème du FLN algérien. Bien sûr, les deux pays et les deux partis ont des histoires différentes et sont le produit de deux contextes assez éloignés l’un de l’autre. Mais ce qui les rapproche n’est pas négligeable. Cela s’appelle l’anachronisme, ce côté «hors jeu» par rapport aux réalités d’aujourd’hui.
Bouteflika ou ceux qui le maintiennent en perfusion disent à la jeunesse algérienne: «C’est nous qui avons chassé la France et libéré le pays il y a près de 60 ans». Et les jeunes leur répondent: «Merci, mais nous n’avons pas besoin de vous aujourd’hui».
Au Maroc, le cas de l’Istiqlal n’est pas isolé. Prenons l’autre grand parti qui peut (je préfère dire «qui promet», la nuance est de taille) rivaliser avec les islamistes, et qui s’appelle le RNI. Qu’est-ce que le RNI ? Quand il a été fondé dans les années 1970, ce parti était un rassemblement des élus qui n’appartenaient à aucun parti politique. Ils étaient nombreux et formaient même une majorité. Alors on les a rassemblés sous la bannière des «indépendants», ce qui était une manière plus douce de dire «sans appartenance politique» (SAP).
40 ans plus tard, les «indépendants» ont évolué. Ils forment un parti dit de centre et qui prône un certain libéralisme social et économique. Ils n’ont plus rien à voir avec la formule initiale des SAP. Ils continuent pourtant de s’appeler les «indépendants», c'est-à-dire les sans appartenance, alors qu’ils ne le sont plus.
Ce n’est pas moi mais le jeune homme évoqué plus haut, qui vous le demande: «Mais pourquoi voudriez-vous que je vote pour un parti qui milite pour une indépendance acquise il y a bien longtemps, ou un autre parti qui se contente de rassembler ceux qui n’ont aucun parti?».