A Tanger, un juge a décidé de reconnaitre la filiation parentale à un enfant né hors mariage. C’est une première! Le juge de Tanger a fait ce qu’aucun autre juge n’a jamais osé faire. Il a contourné les lois obsolètes qui régissent le Code de la famille pour essayer de rendre justice à une femme et, surtout, à un enfant.
Au Maroc, et selon les estimations de plusieurs associations féminines, près de cent cinquante femmes accouchent clandestinement chaque jour. Ces cent cinquante enfants arrivent au monde dans des conditions catastrophiques. La société les condamne à l’avance en les taxant d’illégitimes et «fils du haram». La terminologie médicale les range sans ménagement dans la catégorie «nés sous X». Et la justice fait pire: elle les appelle d’une manière très péjorative «les enfants de la débauche (zina)» et ne leur reconnaît aucun droit.Sur ces cent cinquante enfants, vingt-quatre sont tout simplement abandonnés par leur mère, soit un enfant sur six. Où vont-ils et que deviennent-ils après? Je vous laisse le soin de l’imaginer, après avoir fait les calculs sur une année.
Je me souviendrai toujours de cette histoire traumatisante survenue il y a quelques années et que je dois à un ami médecin: un soir de garde, dans un service de pédiatrie à Casablanca, deux nouveaux nés arrivent dans ce qu’on appelle un état de souffrance aiguë. Leurs petits corps sont déjà bleus et ils risquent de mourir s’ils ne sont pas immédiatement placés dans une couveuse. Mais il n’y avait qu’une seule couveuse disponible. Il fallait faire un choix. Et ce choix était horrible: tenter de secourir l’un des deux bébés en laissant mourir l’autre. Le médecin de garde a jeté un œil au dossier des deux nouveau-nés. L’un était légitime et l’autre né sous X. Je vous laisse deviner le choix que le médecin a été amené à faire, la mort dans l’âme…
Quand ils ne sont pas abandonnés par leur maman, ces enfants nés hors mariage sont abandonnés par la société et par la justice qui les considère comme des «sous-Marocains». Même lorsqu’un test ADN prouve d’une manière formelle la filiation du père, la justice refuse de reconnaître cette filiation: parce qu’il est né hors mariage, l’enfant n’aura ni le droit de porter le nom de son père, ni de bénéficier de son héritage ou d’une quelconque pension alimentaire. Entre autres privations.
C’est pour cela qu’il faut saluer le courage du juge de Tanger. Il s’est peut-être rappelé que le Maroc avait ratifié un certain nombre de conventions internationales sur la protection de l’enfance. Et il a prononcé un jugement qui accorde une «indemnisation» à la maman, faute de pouvoir lui accorder une pension alimentaire en bonne et due forme. Ce n’est qu’une brèche dans le mur. Et il faut espérer que l’appel n’annulera pas le verdict prononcé en première instance.
En attendant, un grand bravo au juge de Tanger!