Je ne parle pas des films «au kilo», comédies familiales ou séries Z, dont ils inondent le marché sous le prétexte que «le public veut ça». Je parle d’un autre cinéma arabe, plus ouvert sur le monde, plus adulte, capable de pousser à la réflexion, de faire grandir son public, tout en remplissant les salles.
Deux films méritent particulièrement votre attention. L’un est tunisien, l’autre égyptien. Prêts? Allons-y!
Une histoire d’amour et de désir raconte, comme son titre l’indique, l’amour et le désir qui unissent un couple arabe à Paris. Ils s’aiment, mais il la repousse. Ils se désirent, mais il refuse de céder. Elle, qui vient du bled, est affranchie et libre de son corps. Mais lui, né en France, est totalement coincé.
C’est un mâle arabe, carapacé, barricadé, solidement ancré dans ses certitudes, si fort et imperturbable à l’extérieur. Mais si fragile en réalité, qu’un rien peut le dévaster.
L’originalité de cette histoire est que c’est une femme (Leyla Bouzid) qui film un homme. Un homme nu, c'est-à-dire sans armure de protection. Le vrai tabou, le dernier tabou, largement inexploré, est là: dans ce corps d’homme, dans ces désirs inhibés, et dans cette incapacité chronique à vivre son temps en s’affranchissant des pesanteurs d’un passé mal compris.
Leyla Bouzid fait un travail d’acupuncteur. Elle touche et plante des aiguilles sur des points douloureux du corps de cet homme et de la société arabe, phallique et machiste, castratrice aussi. C’est un film délicat, tout en finesse, qui arrive à dire beaucoup de choses intéressantes, toujours dans la douceur.
Deuxième film arabe, que je signale à l’intention des cinéphiles, et surtout des distributeurs et exploitants marocains : Feathers (Plumes) de l’Egyptien, Omar El Zohairy. Une claque monumentale.
C’est l’histoire d’un homme qu’un tour de magie transforme… en poule. Sa femme, jusque-là taiseuse et complètement effacée, va devoir montrer une force extraordinaire pour assurer sa survie et celle de ses enfants, dans une Egypte déshumanisée, où tout est sale, tous sont corrompus et où tout menace ruine.
Entre Kafka et Mad Max, l’univers de ce premier film est glauque, détraqué, avec des airs de fin des temps. Un cauchemar.
Remarqué à Cannes, et récompensé à Carthage, Feathers a été dénoncé par ses détracteurs, nombreux et bruyants, qui y ont vu une attaque du système de Sissi et un misérabilisme gratuit. Ces gens veulent le triomphe d’un cinéma «propre» et rassurant, qui montre les progrès de la société arabe. Le film fait le contraire et il le fait tellement bien que le cinéphile endurci ne peut qu’applaudir et recommander ce travail réellement impressionnant.
Une histoire d’amour et de désir et Feathers, deux odes à la vie et au cinéma. Et deux succès commerciaux à venir, parce que ces films créeront le débat et ne laisseront personne indifférent. Il faut les voir, il faut surtout les diffuser dans les salles marocaines et dans le reste du monde arabe. Ne serait-ce que pour arrêter de croire que le public arabe n’aime pas le cinéma de qualité qui lui renvoie son image telle qu’elle est et l’incite à réfléchir sur sa propre condition.
A bon entendeur.