Le poumon de Casablanca…

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ChroniqueL’espace vert qui devait permettre à Casablanca de respirer est devenu un no man’s land et un endroit coupe-gorge, malgré un investissement de plusieurs millions de dirhams.

Le 18/07/2020 à 11h03

Quand les urbanistes ont tracé les plans de Casablanca dans les premières années du Protectorat, ils ont imaginé une ligne verte traversant toute la ville en diagonale. Une idée en or. Mais la cité a poussé vite et le cordon a finalement été stoppé par le béton.

Impossible d’aller plus loin. Ce n’était déjà pas si mal puisque cet espace vert était déjà étalé sur plusieurs hectares. Il comprenait de longues allées dédiées à la promenade, des aires de jeux, et même une piste d’athlétisme…et un théâtre.

Vous l’avez compris, cet espace correspond à ce que l’on appelle aujourd’hui «Parc Yasmina», et que l’on appelait d’une manière plus triviale parc «dijeu» (des jeux).

A partir des années 1980, quand Casablanca est devenue un immense champ de spéculation immobilière, rasant au passage une grande partie de son patrimoine, le parc «dijeu» a aiguisé l’appétit des promoteurs qui ont tenté à plusieurs reprises de le transformer en complexe immobilier. Le sinistre dessein n’a heureusement jamais abouti mais le mal était fait. Le poumon vert de la ville allait petit à petit perdre sa vocation.

Au fil des saisons, donc, les espaces dédiés aux jeux, qui lui donnaient un air forain, ont été démontés. Le théâtre, qui portait le nom d’un grand homme de culture (Abdessamad Kenfaoui), a été fermé. Le terrain d’athlétisme, l’un des plus anciens du pays, connu sous le nom de «La Casablancaise», s’est transformé faute d’entretien en champ de patates. Les rares dépendances encore entretenues ont été réquisitionnées par des clubs privés.

Le reste du parc «dijeu», pratiquement à l’abandon, est alors devenu un immense squat, dans lequel même les amateurs des boules de pétanque n’osent plus s’aventurer. Vint le projet de «restauration». Il fallait casser le parc pour en construire un nouveau. Ce fut le coup de grâce. On rasa alors les derniers cafés, les derniers bistrots (il y en avait deux, à l’atmosphère champêtre absolument fantastique). On boucla tout le périmètre, on débloqua une enveloppe de plusieurs dizaines de millions de dirhams, on ouvrit un chantier immense qui allait empoisonner, des années durant, le trafic et la quiétude de tout le centre-ville casablancais.

Pour quel résultat?

Plongé dans le noir, avec des pelleteuses, de la terre retournée, le chantier s’est transformé en no man’s land. Dans la journée, les travaux battent le plein. Mais, la nuit venue, l’espace se transforme, passez-moi l’expression, en «baisodrome». Le poumon de Casablanca est devenu un hôtel de passe à ciel ouvert. Mais un hôtel miteux, échappant à tout contrôle.

Puis, un jour, l’opération de «réhabilitation» prit fin. Le parc «dijeu» a été remis à neuf. Mais il n’a jamais été inauguré. Ceux qui ont remué ciel et terre pour le réhabiliter l’ont oublié. Le parc, tel qu’on peut le voir aujourd’hui, est un espace qui n’est ni ouvert ni fermé. Il est à peine gardé. Mais il n’est pas entretenu. Il est de nouveau abandonné. Les élus qui ont voté pour sa soi-disant réhabilitation ont été remplacés par d’autres, qui ne savent plus quoi en faire.

Voilà comment, au bout de plusieurs années de travaux, et avec des millions de dirhams injectés, l’espace vert qui devait traverser Casablanca est en train de redevenir un dépotoir, une zone de non-droit. Je vous laisse déduire la moralité de cette triste et révoltante histoire.

Par Karim Boukhari
Le 18/07/2020 à 11h03