Tout le monde nous casse les oreilles avec le variant indien, une forme mutante et menaçante du coronavirus. C’est devenu un leitmotiv, un gimmick. Quand les uns applaudissent l’arrivée en masse des Marocains de l’étranger, l’assouplissement du couvre-feu, et plus généralement le retour progressif à la vie normale, les autres leur brandissent un carton jaune au nez: «Attention au variant indien!».
Le variant indien habite nos pensées. Nos conversations. C’est un épouvantail, un briseur d’élan, il signifie que la récréation est peut-être finie, que le retour au confinement et aux journées molles qui s’étirent à l’infini n’est pas exclu.
Mais qui a envie de revivre ce long cauchemar à cause d’un variant indien?
Le taxi qui me ramène à pas d’heure, s’extasie de voir que les rues sont animées au-delà des limites du couvre-feu, estime que tous ces gens dehors sont vaccinés, que faire la fête sans raison et sans alcool est une manière de célébrer la vie. Tout cela est très bien. Puis il conclut sèchement: «Oui, mais le variant indien!».
Autrement dit: attention, problème! Attention au retour de flamme!
Le variant indien me fait penser au vaccin chinois. Je me demande s’il n’est pas en passe, lui aussi, d’être discriminé. Les virus et les vaccins sont comme les hommes, ils peuvent tomber dans le délit de faciès ou de nationalité. Parce qu’il est facile de s’en prendre à un vaccin qui vient de Chine ou à un virus qui a muté en Inde.
Il y a pourtant d’autres vaccins et d’autres virus mutants. Alors pourquoi la Chine et l’Inde? Pourquoi pas la Suède ou la Finlande?
On veut nous faire croire que, parce qu’il est chinois, le vaccin serait inefficace. Et parce qu’il est indien, le virus serait inarrêtable.
C’est drôle mais, dans l’imaginaire collectif, la Chine et l’Inde, qui comptent parmi les grandes puissances mondiales, continuent d’être assimilées au tiers-monde. On dit vaccin chinois comme on dirait jouet chinois: du toc!
Et voilà qu’on nous apprend, aujourd’hui, que le vaccin chinois protège du variant indien. Tiens, tiens. Il faudra le dire à l’Europe, qui refuse de délivrer des visas aux porteurs de vaccins chinois! Mais il faudra le dire selon les recommandations de l’OMS, en mettant des gants, avec des mots que personne ne risque de comprendre: le Sinopharm protège du variant Delta. Vous avez compris quelque chose?
Maintenant, il faudra voir aussi comment ce variant indien impactera nos partis politiques, que le gouverneur de Bank Al-Maghrib a qualifiés de «Bakor et Zaâtar». Au Maroc, comme on dit, tout est possible. Et, dans quelques semaines, on pourrait très bien se retrouver avec cette manchette: «La campagne électorale est repoussée à cause du variant indien!».
Certains n’attendent d’ailleurs que cela pour crier une nouvelle fois au complot. Ce sont les mêmes qui, il y a une année et des poussières, quand le Covid-19 s’emparait du Maroc, disaient: «Le confinement est un prétexte pour empêcher les Marocains de manifester dans la rue!». Ce billet paranoïaque leur est dédié.