On dit que l’instituteur aurait pu être prophète. Le problème, c’est qu’on lui donne un salaire de balayeur et on lui demande quand même d’être un prophète. C’est un oxymore, complètement irrationnel. Avec tout mon respect, bien entendu, pour les gens qui gagnent une misère pour balayer nos rues.
Payé un peu plus que le SMIG, le «prophète» se retrouve donc tout en bas de l’échelle sociale. Comment voulez-vous, alors, que le niveau de l’enseignement soit tout en haut?
Tout le monde dit que le «niveau» (de l’enseignement) est en baisse sans savoir pourquoi. Tout le monde répète la même phrase: «c’était mieux de mon temps, les élèves étaient meilleurs et les enseignants aussi». Et puis quoi encore? Moi aussi j’ai envie de dire: «mes instit’ étaient des géants, littéralement, dans mes souvenirs ils mesuraient deux mètres!».
Mais ce qui a baissé en réalité, ce n’est pas la taille des instituteurs mais leur niveau de vie. Les géants d’hier sont devenus des nains.
En parcourant un site de petites annonces, je suis tombé sur cette magnifique offre d’emploi: «Cherche enseignant des écoles (maternelles), expérience exigée, salaire 2500 DH». Que dire?
Sur des sites quasi-officiels, vous pouvez trouver des «phrases de motivation» renversantes de stupidité comme «le salaire moyen est compris entre 3.000 et 4.000 DH… Mais vous pouvez gagner plus avec les heures supplémentaires». Carrément!
En réalité, le principe des heures sup’ a complètement dévoyé le système d’enseignement marocain, à tous les niveaux. Ce principe est une hérésie. Parce qu’on vous dit: «Vous voulez que votre enfant ait de meilleurs notes? Vous trouvez qu’il n’est pas assidu en classe? Que les cours sont trop ceci et pas assez cela? Mettez-le aux heures sup’ et passez à la caisse!».
Au lieu de les payer correctement pour assurer un niveau d’enseignement décent, l’Etat ferme les yeux, voire pousse les enseignants, tous niveaux confondus, à faire des heures sup’. Celui qui perd, c’est l’élève, l’étudiant, et ses parents.
Remarquez au passage que c’est le principe même de la gratuité de l’enseignement et du service public qui est jeté à la poubelle!
Le Maroc a tenté maintes fois de réformer son système d’enseignement. Toutes les réformes ont lamentablement échoué. Pour des raisons multiples et diverses, bien entendu, dont ces vagues d’arabisation non maÏtrisées. Mais aucune réforme n’a valorisé l’élément-clé de l’enseignement: l’enseignant lui-même, le «prophète». Un «prophète» dont les conditions de vie et de travail ont été continuellement dégradées.
Surtout l’instituteur, celui qui assure les premiers pas de l’enfant dans le monde réel, extérieur, adulte. Chapeau bas à ces femmes et hommes, ces derniers prophètes, ces Don Quichotte, qui n’ont plus que la foi et le courage, et qui arrivent malgré tout à transmettre quelque chose à nos enfants.