Il arrive parfois que le cinéma traduise les réalités d’une société et d’un pays. On n’appelle pas cela un miracle mais du cinéma social. C’est un art militant et nécessaire. Qui témoigne et rend compte. Qui dénonce aussi.
A présent, nous allons voir comment, d’un pays à l’autre, le même sujet peut donner lieu à des films bien différents. Pour peu que l’on fasse l’effort de s’arrêter à des détails...
Prenons «La belle et la meute» de la Tunisienne Kaouther Ben Hnia. Sorti il y a un an, le film raconte l’histoire d’une jeune femme qui se rend à une soirée d’étudiants, connaît un flirt et finit violée par une «meute». Ses violeurs sont des policiers. La jeune femme porte plainte. Elle se jette, malgré elle, dans la gueule du loup. Ses violeurs doivent enregistrer sa plainte. Le feront-ils?
La réalisatrice s’inspire ici d’un fait divers. Elle a tissé son film comme une toile d’araignée. On y tombe comme dans un piège. Reste la question la plus importante: est-ce que la jeune femme violée aura le courage d’aller au bout?
Les policiers violeurs usent de leur pouvoir, et de leurs moyens, qui sont importants, pour tenter de dissuader la jeune femme. Ils jettent son compagnon en prison. Ils menacent de la jeter elle-même en prison, de tout dire à son pauvre père, de la chasser de la cité universitaire dans laquelle elle vit. Bref, ils menacent de la détruire.
Va-t-elle abandonner, va-t-elle plier, courber l’échine, se résigner? Va-t-elle, au contraire, s’accrocher à son droit, au risque de tout perdre?
Ces questions ont, bien entendu, une portée symbolique qui est très forte. Se résigner, ça veut dire se plier à la loi de la communauté, du système, du plus fort. C’est baisser la tête et accepter le mektoub. Dans le sens inverse, aller au bout revient à se rebeller, à faire valoir les droits de l’individu aux dépens de la communauté.
Alors que faire?
Le film répond à la question, et d’une très belle manière. La jeune femme se rebelle et va au bout. Mieux encore, c’est un policier qui lui vient en aide. Lui aussi s’est rebellé, transgressant subitement les codes de solidarité qui le lient à ses camarades.
Intéressons-nous à présent à un film marocain, qui s’appelle «Sofia» et qui est actuellement en salles. C’est un film de femme aussi, il a été présenté à Cannes et dans la même section que «La Belle et la meute» (Un certain regard).
«Sofia» raconte aussi une histoire de viol. La violée tombe enceinte et le violeur est un homme puissant, au-dessus de tout soupçon. La question, ici, est: que va faire la jeune femme? Va-t-elle aller au bout et dénoncer son violeur? Va-t-elle, au contraire, se résigner et se tourner vers une solution qui préserve les intérêts de sa famille et les codes de la société dans laquelle elle vit?
Le film de Meryem Benm’barek choisit la deuxième option. La jeune femme se résigne. Mieux ou pire encore, les femmes qui l’entourent se résignent plus vite qu’elle. Elles décident d’enterrer le scandale. Elles ne se rebellent pas. Elles acceptent le fait accompli. Le violeur ne paiera pas.
Voilà comment, à partir du même point de départ (une femme victime d’un viol et livrée à elle-même), un film tunisien et un film marocain nous amènent dans deux chemins complètement différents. Pour ne pas dire opposés.
Le film tunisien raconte une révolte. Il est porteur d’un message d’espoir. Le film marocain raconte la soumission et sa morale. C'est triste à en pleurer.
La force de ces deux films est qu’ils portent une opinion forte sur leurs sociétés. Ils représentent un cinéma social qui témoigne et transcrit une réalité.
Et la réalité, elle est là: en Tunisie, nous suggère Kaouther Ben Hnia, il y a quelque chose qui a peut-être changé. La révolution est allée en profondeur et elle a affecté des individus. Des femmes jusqu’aux représentants des appareils de l’Etat. Leurs réflexes ne sont plus les mêmes. Au Maroc, semble nous dire Meryem Benm’barek, on attend toujours la révolution. Pas celle qui chante des slogans dans la rue mais celle qui, plus subtile, vous fait brusquement changer le cheminement mental que vous avez toujours emprunté.
A méditer.