Ma routine quotidienne

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ChroniqueVous voulez du sexe? Nous allons vous le servir dans une enveloppe de conseils pratiques, quotidiens, innocents. Profitez-en, bonnes gens, mais ne le dites à personne!

Le 07/12/2019 à 14h28

Que regardent les Marocains, qu’est-ce qui les intéresse? Sur YouTube, et en dehors du rap, la tendance du moment s’appelle «Routini Alyaoumi», que l’on peut traduire par «Ma routine quotidienne». Cela fait un moment que cela dure.

Le concept est simple. Il n’est pas spécialement marocain. Dans le monde entier, depuis que l’outil Internet existe, des gens ont sauté le pas pour se filmer dans leur quotidien. Les voilà qui se brossent les dents, qui parlent de tout et de rien, qui prodiguent avis et conseils à tout-va…

L’espace de quelques secondes, de quelques minutes, ils se prennent pour des stars, ils ont un «public», c'est-à-dire des gens qui suivent leurs faits et gestes. C’est l’idée du «everybody’s star». Ou comment l’être le plus ordinaire peut, l’espace de quelques secondes, devenir ou se donner l’illusion qu’il est extraordinaire.

Tout cela n’est, bien sûr, que la déclinaison d’un principe universel qui a partout fait ses preuves: le ressort psychologique est de faire rêver («Oui moi aussi je peux être une star»), en tout cas suffisamment pour démultiplier le nombre de clics et faire tourner la machine à sous.

Dans sa version marocaine, «Ma routine quotidienne» nous donne à voir des jeunes femmes en train de faire la vaisselle, le lit, le ménage, la cuisine, passer l’aspirateur, préparer la lessive… Les jeunes femmes partagent leur routine, leur ennui, parfois une recette de cuisine…

Mais tous ces gestes ne sont que prétexte pour mettre en avant les formes généreuses de ces dames. La caméra cadre («traque» serait plus juste) leurs postérieurs, généralement gros et serrés dans des vêtements on ne peut plus «routiniers» (jogging, pyjama). 

La routine devient un défilement de postérieurs. Certains «films» sont quasi muets, sans dialogues et sans visage. Juste un postérieur plein cadre, qui se trémousse pour chercher un verre, ramasser un chiffon par terre, etc.

Le succès est bien sûr au rendez-vous. Un succès fou, comme chanterait Christophe. Au point que «Ma routine quotidienne » se décline aujourd’hui en «routine du matin» et du «soir».

A la fin de la performance, qui peut durer quelques minutes, la «star» vous demande, dans une forme d’humour étonnant: «Alors, vous la trouvez comment…ma recette de cuisine?». Surtout n’oubliez pas de cliquer, de «liker», partager, commenter…

C’est drôle, peut-être involontairement, c’est surtout fascinant. J’ai assisté à ce dialogue entre deux hommes. Le premier: «Tu ne trouves pas que tout cela ressemble à du porno déguisé?». Le deuxième: «Non, on ne voit pas de bout de chair, ce n’est pas mixte, et les femmes qui montrent leurs postérieurs gagnent leur vie sans enfreindre la loi».

Au-delà du regard moral que l’on peut avoir ou pas sur ce genre de «contenu», au-delà de l’analyse que l’on peut avoir du succès fou de cette forme d’exhibitionnisme et d’érotisme halal, il est intéressant de relever le degré absolument extraordinaire d’hypocrisie qui enveloppe toute l’entreprise. Et qui ressemble finalement aux codes schizophrènes de notre société.

Nous sommes, plein pot, dans le royaume du «fais-le sans le dire». Les créateurs du concept jouent avec la schizophrénie de la société marocaine.

Vous voulez du sexe, du phantasme et de l’érotisme bon marché? Nous allons vous le servir dans une enveloppe de conseils pratiques, quotidiens, innocents. Profitez-en, bonnes gens, mais ne le dites à personne! 

C’est cela la morale ou la recette du dernier phénomène de société à la marocaine. On peut difficilement faire plus hypocrite. Sociologiquement, c’est fascinant.

Par Karim Boukhari
Le 07/12/2019 à 14h28