Merci confrère

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ChroniqueC’est rare mais quand on leur parle avec le cœur, quand on ne se moque ni de leur intelligence ni de leur mémoire, ils vous donnent leur cœur.

Le 12/12/2020 à 09h01

L’émotion qui a saisi les Marocains après l’annonce du décès brutal de Salaheddine El Ghomari est une surprise magnifique. C’est incroyable, le défunt a eu droit à un deuil quasi national, il fallait parfois se frotter les yeux, et se pincer la peau, devant toutes ces images de la foule éplorée, amassée au passage du convoi funéraire.

Au café, à l’ascenseur, au bureau, au restaurant, dans le tram, sur les réseaux sociaux, partout, le drame de Salaheddine était sur toutes les lèvres. Il a même, sur la seule journée du vendredi, éclipsé ou presque l’annonce pourtant extraordinaire du deal conclu entre Donal Trump et les autorités marocaines…

Salaheddine El Ghomari n’était pas une star du showbiz avec des millions de followers, ni un faiseur de miracles politiques ou économiques. Il était journaliste et présentait le téléjournal, avant de devenir «monsieur Corona» à l’époque du confinement. C’est probablement là que quelque chose d’extraordinaire parce que totalement imprévu s’est déclenché.

La disproportion/distorsion entre la fonction du défunt et le retentissement de sa mort sont rares, pour ne pas dire surréalistes. A-t-on déjà connu cela? Probablement pas.

Qu’est-ce qui s’est passé, alors, pour qu’on se retrouve avec une telle déflagration? Le décès brutal, totalement inexpliqué, inattendu, donne toujours l’impression que le défunt a été arraché, qu’il s’est littéralement envolé en une fraction de seconde. Cela rajoute à l’injustice de la mort.

Le poids des images, des souvenirs, en un mot le pouvoir de la télévision n’est pas négligeable. On entend d’ailleurs souvent ces phrases chargées de sens: «Il était si jeune, si souriant… Il faisait partie de la famille».

Mais il y a surtout les mots avec lesquels le défunt a su parler, tous les soirs, du Covid-19. Ses émissions ont fait des records d’audience, et ce n’est pas seulement parce que les gens étaient confinés chez eux.

Il parlait juste et vrai, il disait des choses inhabituelles, que les oreilles des téléspectateurs n’avaient pas coutume d’entendre à la télévision. Comme: «Allez, laissez-les fumer s’ils veulent… Laissez-les recevoir leurs petits copains et copines… pourvu qu’ils restent confinés chez eux…».

Cette sincérité et cette franchise qui émaillaient les «sermons» de Salaheddine ont touché beaucoup, beaucoup de gens qui pleurent aujourd’hui un membre de leur petite famille. Parce que les Marocains sont comme ça: quand on leur parle avec le cœur, quand on ne se moque ni de leur intelligence ni de leur mémoire, ils vous donnent leur cœur. Merci pour tout confrère.

Par Karim Boukhari
Le 12/12/2020 à 09h01