Il y a quelques mois, le théâtre Mohammed V de Rabat, le plus grand du pays, haut lieu de culture et d’ouverture, avait invité…un célèbre prédicateur, connu pour son obscurantisme. Omar Abdelkafi, c’est son nom, a donc officié au temple de l’art et de la culture, là où Tayeb Saddiki et d’autres ont joué Molière, Brecht ou Shakespeare. Et il a cartonné, avec sold out et standing ovation!
Pour justifier cet intolérable dévoiement, des esprits tordus et certainement incultes, avaient dit, tenez-vous bien, quelque chose comme: «Le théâtre abrite bien les assemblées de Transparency (qui lutte contre la corruption), alors pourquoi pas un prédicateur?».
Quelque temps plus tard, une association religieuse a choisi l’université de Rabat pour organiser une activité «scientifique» (sur le repentir, la foi, le jugement dernier, etc.) dans un espace portant le nom…de Paul Pascon. Le père de la sociologie marocaine, qui a effectué un travail de terrain remarquable (son étude sur le Haouz reste inégalable) et formé des générations de grands esprits marocains (Hassan Rachiq, Mohamed Tozy et tant d’autres) a donc cautionné, malgré lui, une activité qui représente le contraire de son travail et de sa pensée.
Dans la même série, que je peux appeler l’occupation des lieux de culture et de savoir et leur transformation en lieux d’endoctrinement et de fermeture, l’université de Casablanca vient d’abriter à son tour une conférence «scientifique» pour expliquer, je cite, les nouvelles formes d’athéisme. Débat contradictoire? Réflexion philosophique sur le sens de la vie, de la mort, de la création, de la divinité ou de son absence? Non.
La conférence scientifique a été un tribunal d’inquisition, une sorte d’abattoir où les intervenants, des islamistes pour l’essentiel, ont crucifié les «néo athées», considérés comme des êtres idiots et déviants. Un célèbre élu islamiste a pris la parole pour expliquer, avec délectation, que Stephen Hawking, astrophysicien de renommée mondiale, est, je cite, «plus stupide qu’un âne». Pourquoi donc? Parce qu’il est athée et que sa pensée a influencé, je cite encore, au moins 10.000 personnes!
Monsieur le député s’est appuyé dans sa brillante démonstration sur un homme, Iyad Qanibi, un islamiste jordanien connu pour être proche de Daech et d’autres organisations terroristes. Le député a présenté ce sinistre personnage, qui ne jure que par le jihad, comme un brave homme «qui a été chassé des Etats-Unis pour la simple raison qu’il croyait en dieu».
Ainsi donc, l’apologie du terrorisme ou sa légitimation, les appels au jihad, ne relèvent que de la simple croyance en dieu…
Ces propos dangereux ne sont pas sans rappeler ceux tenus, il n’y a pas si longtemps, par Abdelilah Benkirane en personne, quand il a rendu en 2016 un hommage public au terrible Ibn Taymiyya, le père historique et spirituel de Daech, et dont la pensée est un cancer qui ronge tous les jihadistes de la terre…
Pour la petite histoire, la mise à mort du « moins qu’un âne » Stephen Hawking et la glorification du valeureux Iyad Qanibi ont eu lieu dans un amphithéâtre bien rempli et qui porte le nom…de Abdallah Laroui, le père de la rationalité et de la raison marocaine et arabe.
Pour le symbole, c’est fort, très fort!
Nous en sommes là. Les pensées les plus obscurantistes quittent les lieux d’endoctrinement classiques pour investir les théâtres et les universités. Dans l’indifférence quasi-générale.
Nous avons même un élu du peuple qui «éclaire» l’université et une assistance d’étudiants et de futurs décideurs en expliquant que l’un des plus grands scientifiques du siècle est moins qu’un âne, et qu’un sinistre thuriféraire de Daech est un homme de valeur dont la pensée mérite d’être célébrée.
En résumé: l’ignorance sort désormais des voies les plus autorisées et s’incruste dans les seuls remparts dédiés à la culture et à la science. En toute tranquillité.
Que dire de plus?