On joue dans la rue et on prie dans la rue

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ChroniqueCelui qui prie dans la rue et coupe la respiration à tout un quartier a la certitude d’être dans son droit. Comme si nous n’étions plus face à un acte d’incivisme mais de purification de l’espace public.

Le 25/05/2019 à 13h14

Une journaliste marocaine a été beaucoup critiquée pour avoir écrit que certaines prières du soir se transforment en «fawda», qui est un état d’anarchie où chacun fait n’importe quoi. Elle a pourtant raison parce qu’il faut appeler les choses par leur nom.

Quand les gens occupent la rue et la ferment pour prier, sans demander l’avis ni la permission de personne, et alors que les espaces dédiés ne manquent pas, cela s’appelle un débordement d’incivisme.

Le débordement doit être réprimé, point barre. L’Etat peut le faire en s’appuyant sur la loi. Les autorités religieuses peuvent et doivent le faire aussi : elles ont une «ligne», une charte, un ensemble de consignes qu’elles transmettent aux imams qui guident la prière.

Pourquoi ces imams n’inviteraient pas les fidèles à prier à l’intérieur des mosquées et des espaces dédiés ? Ne serait-ce que pour des raisons de sécurité, de salubrité, d’ordre public… et de bon sens citoyen surtout.

La liberté d’exercer ou d’exprimer sa foi doit être encadrée de garde-fous dont le plus important est le civisme et la citoyenneté. Il faut respecter l’autre, les autres, l’espace public, la libre circulation des individus, etc.

Le bon musulman qui exerce et exprime sa foi doit être aussi et d’abord ce bon citoyen qui respecte son environnement. Pourquoi ne lui apprend-t-on pas cela à l’école, à la mosquée, à la maison, dans les médias, et même dans la rue ?

Les prêches ne sont pas les paroles de dieu mais un discours général par lequel l’imam transmet des recommandations à son très large public de pratiquants. Pourquoi ces prêches n’incluraient-ils pas un message de civisme et de citoyenneté ?

Bien sûr, le problème n’est pas uniquement celui des pratiques religieuses, qui sont ce qu’elles sont. Il y a d’autres réflexes qui renvoient au rapport très spécial qui nous lie à l’espace public.

Au Maroc on prie dans la rue, on joue au football dans la rue, on se soulage aussi dans la rue, on jette des ordures dans la rue, etc.

Le manque d’infrastructures et d’installations n’explique pas tout.

La rue est considérée comme une poubelle, une aire de jeu, ou un no man’s land, une terre non occupée, une zone de non-droit et de « fawda ». On construit des murs, on installe des terrasses, on «annexe» des trottoirs. Rien n’est légal, mais tout devient légitime.

Dans ce capharnaüm, celui qui prie dans la rue, et coupe la respiration à tout un quartier, a la certitude d’être son dans son droit. C’est le principe du «pourquoi pas moi ?». Et il se donne même bonne conscience en se disant : «Moi, dans ce désordre général, au moins je fais une bonne action en me rapprochant de Dieu».

C’est comme si nous n’étions plus face à un acte d’incivisme mais de purification de l’espace public. 

Par Karim Boukhari
Le 25/05/2019 à 13h14