L’explosion de la violence au nom de l’islam nous fait dire, constamment: “Ce n’est pas le vrai islam, ce ne sont pas des vrais musulmans”. Nous n’avons guère le courage d’aller plus loin. Notre cerveau bascule entre ces deux positions qui ressemblent à des coques de protection: l’islam n’est pas le problème, les terroristes ne sont pas de vrais musulmans. C’est une manière de dire au monde: laissez-nous tranquilles, nous ne sommes pas concernés.
Pas concernés, vraiment ?Nous sommes comme une famille qui voit le feu sortir de sa maison. Elle refuse de le voir. Elle est la seule à ne pas le voir. Alors elle ouvre la porte et la referme aussitôt. Non, pense-t-elle, le feu vient de l’extérieur et il est loin, alors protégeons-nous et fermons la porte.
Ce mécanisme de défense est un leurre. C’est un exercice d’auto-persuasion voué à l’échec. La preuve: chaque nouvel acte barbare perpétré aux quatre coins du monde, au nom de notre religion (je dirais plutôt: au nom de notre culture), nous bouleverse jusqu’à nous laisser chaque jour un peu plus exsangues.
La violence au nom de l’islam a fait naitre un débat de fond: fait-on face, aujourd’hui, à la radicalisation de l’islam ou à l’islamisation de la radicalité? Les deux idées n’expriment pas la même chose. Ce sont des théories. Elles méritent d’être examinées.
La première théorie touche à l’essence même de la doctrine et appelle implicitement à sa remise à niveau. Elle est extrêmement douloureuse. Elle nous met à mal parce qu’elle touche à quelque chose d’irréductible que l’on porte en nous. Cette idée que l’islam n’est pas le problème mais la solution ; c’est une religion supérieure aux autres, parce que restée pure, non souillée, complète et parfaite ; il n’y a nul salut sans elle ou en dehors d’elle. Cette idée, ne l’oublions pas, constitue le fondement même de notre éducation. C’est comme une coquille fermée: on finira bien par l’ouvrir et l’examiner.
La théorie de la radicalisation de l’islam nous fait mal aussi parce qu’elle laisse de la marge aux islamophobes et aux champions de la stigmatisation. C’est une pollution. Mais ce n’est pas une excuse pour fermer le débat.
La deuxième théorie, celle de l’islamisation de la radicalité, considère le terroriste comme un cerveau malade qui a rencontré, comme l’explique Olivier Roy, «une offre disponible sur le marché de la révolte radicale». Nous sommes devant le schéma du voyou ou de l’inadapté social, ce «rebelle sans cause» qui devient une sorte de musulman express dans le seul but d’accomplir sa «mission». L’islamisation express a valeur de rattrapage: c’est un habillage et une légitimation à une violence destinée, dans tous les cas, à exploser. Cette dernière théorie semble d’ailleurs s’appliquer au cas du tueur de Nice, un radical social «islamisé» à la toute dernière minute, avant son passage à l’acte. Elle peut s’appliquer aussi à un Omar Mateen et à d’autres tueurs en série ou tueurs de masses en mal de légitimation de leur barbarie…
Ces théories et ces débats de fond ne semblent pas beaucoup passionner nos sociétés, trop occupées à renforcer leurs mécanismes de défense. Cela ne va pas durer. Nos sociétés finiront par s’ouvrir à ces questions parce qu’elles sont les premières concernées.