Comme je suis un grand naïf, et que je refuse absolument de me soigner, j’ai décidé de suivre le match Algérie – Côte d’Ivoire en public, loin de mon petit confort personnel. J’ai choisi un bistro casablancais qui était, bien entendu, plein comme un œuf. C’était le but.
On était les uns sur les autres, comme dans un film des Marx Brothers. Entassés comme des sardines à peine sorties de l’eau, qui se trémoussent et qui n’arrivent pas à tenir en place.
J’avais besoin de ce bain de foule, de ce mélange de cris, de gesticulations, de vibrations et de cette petite folie qui accompagne les grands matchs. J’avais besoin de voir ces verres qui volent de main en main avec, à la fin, tous ces inconnus qui se jettent dans vos bras et semblent prêts à tout vous donner, sans rien demander en retour.
J’avais bien sûr une idée derrière la tête. Mon optimisme béat me disait: «Tu verras, tu verras, les Marocains vont supporter encore une fois cette sélection algérienne. Ils feront la nique à la propagande officielle. Tu verras comme ils seront imperméables à ces discours de haine. Et tu pourras écrire ces périphrases enflammées pour dire que le sport est plus fort que la politique, que l’amitié et la fraternité des peuples aura toujours raison de la propagande de haine, blabla».
Mon blabla ne verra pas le jour. Pas cette fois, en tout cas.
J’ai vu un match de guerre. Tout le bistro débordait de haine. Tout le monde voulait en découdre. «Allez mon frère noir (pour désigner les joueurs ivoiriens), pousse ton ballon dans les filets du Polisario, déchire-les, déchire-les!».
Ce n’était pas du «chambrage» mais bien plus. Ambiance détestable. Quand Mahrez a raté son pénalty, l’orgasme fut collectif. On cria «Allahou akbar», on remercia dieu, on se congratula, on sauta littéralement au plafond…
Vous pouvez imaginer ma détresse. J’étais venu chercher cette bulle, qui s’appelle le foot, la seule frontière restée ouverte entre l’Algérie et le Maroc, la seule que je croyais imperméable aux discours de haine nourris par les médias et les officiels des deux pays. Peine perdue.
Triste spectacle où, le temps d’un match de football, tout le monde s’est aveuglé, et où une haine factice s’est projetée sur onze jeunes sportifs qui n’y sont absolument pour rien.
Quand c’est comme ça, le sport et le foot en particulier ne sont plus une fête, mais un carnage. Au Maroc, on nous dit qu’ils nous détestent. Et en Algérie, on leur dit qu’on les déteste. Ce discours de haine qui me fatigue, et qui appelle à la punition collective, a crevé la bulle du football, l’une des rares qui lui semblaient imperméables.
La défaite de l’Algérie fut aussi la mienne. Je fus défait dans mes convictions, dans mon optimisme béat. J’étais pris dans cette tempête de haine. Je venais de subir une cuisante défaite face à la propagande qui n’arrête pas de répéter, des deux côtés de la frontière: «c’est pas moi, c’est lui». Quelle défaite!