Refoulez-les, ils reviendront!

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ChroniqueAu Maroc, le problème n’est pas seulement de gérer ceux qui partent, mais aussi ceux qui arrivent. Nous sommes au sud des uns et au nord des autres.

Le 02/10/2021 à 08h59

Au Maroc, il y a de plus en plus de villages, dans le sud et le nord du pays, qui accueillent, sans l’avoir choisi, une population nouvelle et désespérée, venue de pays au sud du Sahara. J’ai eu la chance de visiter, en coup de vent, l’un de ces villages. Il ressemble à un champ de ruines, comme une ville bombardée et dont la construction s’est brusquement arrêtée.

Socialement, le cocktail est explosif. Nous avons des gens venus de loin pour faire ce qu’ils appellent «la traversée» (vers l’Europe), qui sont bloqués, pris au piège. Et qui s’invitent dans ce village où une grande partie de la jeunesse rêve… de partir en Europe.

Imaginez le décor. Un village pauvre et surpeuplé, avec une population coupée en deux, les uns et les autres passant leur temps à se frôler sans vraiment se mélanger. Mais tous sont en transit. Tous sont ou se sentent dans le provisoire, le précaire. En instance de quelque chose. Qu’ils soient nés ici ou simplement «parachutés», ils rêvent d’ailleurs et leur vie ressemble à une attente sans fin.

C’est un schéma qui rappelle l’histoire, la grande, celle de nos ancêtres, quand beaucoup nomadisaient d’une oasis à l’autre et étaient en perpétuel mouvement. Autre point de comparaison avec le passé, le mouvement se fait vers le nord. C’est-à-dire vers le haut.

Qu’il soit considéré dans sa dimension individuelle ou collective, hier ou aujourd’hui, le mouvement devient poussée. Ce qui compte, c’est de pousser vers le nord, et ce nord lui-même est en perpétuel déplacement.

Cette situation se prête facilement à la métaphore. Parce qu’on est tous «au sud» de quelqu’un. Et au nord de quelqu’un d’autre.

La logique de survie, la recherche du mieux, sont les mêmes pour tous. Ce n’est pas seulement un problème de pauvres. Après tout, même les nantis qui envoient leurs gosses dans les meilleures écoles européennes et américaines sont dans cette quête d’ailleurs, cette quête du nord, c’est-à-dire du mieux. Certains de ces gosses ne reviendront pas. 

Bien sûr, il y aura toujours des problèmes entre ceux qui arrivent et ceux qui partent, ou qui sont coincés sur place. La théorie du remplacement n’a pas été inventée par le sinistre Renaud Camus, qui a déniché une expression pour décrire une peur universelle: celle de perdre sa place, son pain, d’être poussé dehors.

Ces variations disent une chose. Il faut arrêter de diaboliser cette porte qui ramène du vent. Fermez-la et le vent rentra par la fenêtre ou le toit. Fermez tout et barricadez-vous, et vous n’aurez plus d’oxygène pour vivre longtemps.

Au Maroc, le problème n’est pas seulement de gérer ceux qui partent, mais aussi ceux qui arrivent. Nous sommes au sud des uns et au nord des autres.

Vu d’Europe, il faut aussi comprendre que ce mouvement et cette poussée continueront. Vers le nord, vers le haut, et il vaut mieux canaliser ce qu’il est impossible d’arrêter.

Le Maroc est une escale, une étape, mais elle peut durer une vie. Il faut se pencher sur tous ceux qui sont pris au piège entre ici et là-bas: qu’ils le veuillent ou non, ils devront apprendre à vivre ensemble.

Comme dans ce village du sud marocain, où beaucoup attendront toute leur vie sans jamais réaliser la traversée vers le nord.

Par Karim Boukhari
Le 02/10/2021 à 08h59