C’est la question la plus stupide qui soit: aimez-vous les riches, les bourgeois, les puissants? Je sais et vous savez que la réponse sera non. Evidemment. Ces gens sont impopulaires. Et souvent indéfendables. Il faut être fou pour les aimer. Ces gens, c’est les autres, c’est pas nous.
C’est ce qu’on dit. Et c’est encore plus vrai dans un pays sous-développé, qui n’arrive pas à se regarder en face. Les riches deviennent une excuse, un bon prétexte pour dormir heureux. Les riches portent le chapeau. Et la croix. On les charge de tous les maux. Ils sont coupables de tout et n’ont aucune circonstance atténuante.
Tout va mal? Ah mais parce que les riches…
Mais bien sûr. Parce qu’on part du principe que les riches volent les pauvres. Ils sont l’injustice incarnée. Et il ne sert à rien d’aller plus loin…
Je me souviens de l’échange vif et enjoué que j’ai eu, une fois, en face d’un homme d’affaires prospère (et malin). Moi: «vous êtes riche?». Lui: «oui mais je n’ai volé personne!». Moi: «il va falloir le prouver!». Lui, avec le sourire: «et tu crois que cela a une quelconque importance?».
Moralité: chacun a son idée et rien ne pourra y changer grand-chose…
Dans son nouveau film («Volubilis», actuellement en salles), Faouzi Bensaïdi, un cinéaste talentueux et sincère, convoque à son tour cette haine du riche. Et il y va fort, obligé. Le riche vit mal, il est trompé par sa femme et il ne respecte rien. Il est dans sa bulle et tout ce qui l’entoure est faux. Mais, écraser le pauvre, voilà qui l’amuse et le divertit.
On en restera là. Dans ce qui ressemble bien à une caricature. On n’ira pas plus loin dans la psychologie du riche et même du pauvre, par ricochet. Le riche est responsable du problème du pauvre. Il en est coupable. Et quand le pauvre se révolte, le riche se fera le plaisir de l’écraser. Pour que rien ne bouge.
Bensaidi n’est évidemment pas le premier à malmener les riches. Noureddine Lakhmari s’y est récemment essayé avec «Burn out». D’autres l’ont fait et le feront, le terreau est fertile.
Des cinéastes et des écrivains nous répètent la même chose, avec des fortunes diverses. Le fond de l’air est le même. Il est rouge bien sûr, comme disait Chris Marker, très en colère. Ça veut dire que nos artistes sont très fâchés avec les riches, les bourgeois, les puissants.
Fâchés mais finalement fascinés. Leurs films montrent cette colère et, plus encore, cette fascination. Qui devient obsessionnelle à la fin, au point de cacher tout le reste…
De «Burn out» à «Volubilis», en passant par «Razzia», pour ne parler que des films les plus récents, nos meilleurs cinéastes pointent les riches mais ils ne nous disent pas grand-chose de cette caste qui les fascine. Peut-être parce qu’ils ignorent ses codes. Alors ils les réduisent à une caricature.
Entre naïveté, manichéisme et misérabilisme, ils confortent cette vision du monde qu’ils dénoncent pourtant. Celle du pauvre volé par le riche, mais obsédé par lui et condamné à le renifler et à le suivre à la trace, comme son chien...
C’est bien dommage parce que le pauvre aussi devient une caricature, rien d’autre.