Un gamin de douze ans porte plainte contre ses parents. De quoi les accuse-t-il, donc? De l’avoir enfanté. Ils n’auraient pas dû, selon lui. Car ils l’ont abandonné. Ils ont laissé mourir sa petite sœur, mariée de force à un adulte. Et voilà que la maman annonce sa grossesse. Ça sera peut-être une fille, elle pourra remplacer ta sœur, dira-t-elle au gamin, avec une désinvolture assez incroyable. «Je ne veux pas qu’ils mettent un autre enfant au monde, plus jamais ça», dira le jeune garçon au président du tribunal...
Vous l’avez compris. Nous sommes chez les pauvres, ceux d’en bas, qui alignent les enfants comme des sardines et vivent au jour le jour. Et nous ne sommes pas complètement dans le cinéma car l’histoire est réelle et la plupart des personnages jouent leurs propres rôles.
«Capharnaüm», qui est actuellement en salles au Maroc, a ému tous les publics du monde (et pas forcément la presse, nous y reviendrons). C’est un film libanais qui a gagné un prix à Cannes et recevra peut-être un Oscar à Hollywood. Mais ce n’est pas pour cela qu’il est important d’aller le voir.
Beaucoup de films ont déjà essayé de traquer la misère. Ce cinéma a toujours existé, il est surtout la spécialité des pays du Sud et du tiers-monde. Ce cinéma comporte un piège, bien sûr: celui du mélo facile et du tire-larmes. Parce que le misérabilisme n’est jamais loin, et que le «spectacle» des pauvres devient un exotisme et un divertissement à offrir au public des riches.
Notre film n’évite pas toujours ce piège, et c’est pour cela que toute la presse ne l’aime pas. Elle est gavée. Elle voit «Capharnaüm» comme un intermède de luxe entre les images de guerre et de tueries diverses en provenance de ce Proche et Moyen Orient qui ne fait plus rêver personne.
C’est dommage. Au cinéma, les bons sentiments ne font pas toujours les mauvais films. Il y a des exceptions. Sur les enfants de la rue et la misère humaine, les meilleurs films sont ceux qui adoptent une démarche quasi documentaire. C’est le cas par exemple de «Salaam Bombay» ou «Le Mur» qui sont restés dans les mémoires.
Au Maroc, Nabil Ayouch s’était essayé à ce genre de cinéma, avec «Ali Zaoua» (2001), qui semble avoir pris beaucoup de rides.
Nadine Labaki (très loin ici du petit microcosme girly qui l’avait fait connaitre avec «Caramel») est allé beaucoup plus loin que les autres. Elle a beaucoup filmé dans ce Beyrouth des bas-fonds que l’on n’a jamais vu au cinéma. Ces bidonvilles et ces héros du sordide pourraient être à Casablanca ou dans n’importe quelle grande ville arabe. Nous sommes, comme chantait Lou Reed, de l’autre côté de la rue, celui qui est sale et sauvage.
Ce qui est beau dans ce film étouffant, où on ne quitte jamais l’univers des pauvres, c’est que le personnage principal, ce Gavroche libanais, se bat jusqu’au bout pour garder une trace d’humanité en lui. Comme Robin des bois, il se bat et il vole mais avec une morale.
On est presque heureux pour lui quand, à la fin du film, on lui brandit un petit passeport sous le nez. Jamais ce précieux document n’a véhiculé, autant, la promesse d’un autre monde, avec d’autres hommes, et un peu plus de justice. Un monde meilleur, quoi.
Comme notre petit héros, on a tellement envie d’y croire…