Trop cher, trop sensible!

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ChroniqueIl y a même un personnage athée dans le scénario, c’est fou quand même. Comment va-t-on gérer une telle audace? Est-ce que notre public familial peut accepter un tel personnage?

Le 08/05/2021 à 10h00

J’ai fini par faire comme tout le monde et j’ai regardé la série dont on parle, «Le Caire Kaboul». Je n’ai pas regretté. Ma curiosité allait à deux points précis.

Le premier concerne la forme: comment nos amis égyptiens, qui produisent et réalisent, allaient relever le défi technique de réaliser une série selon les standards internationaux, autrement plus exigeants que les petites productions locales paresseuses avec lesquelles ils ont depuis longtemps inondé les télévisions arabes?

Ma curiosité concernait aussi le fond, bien entendu, c’est-à-dire le contenu. Comment des questions aussi épineuses que la montée du radicalisme religieux et la riposte sécuritaire allaient être abordées? Sachant que tout cela reste d’actualité et que la télévision arabe en général a rarement mis en lumière, sans tomber dans les clichés et les approximations, des personnages aussi «chauds» qu’un jihadiste ou un officier de la lutte antiterroriste.

Les réponses que la série donne, par rapport à toutes ces questions, sont plutôt satisfaisantes. Sans atteindre la maitrise de séries cultes comme «Le bureau des légendes» ou «The looming tower», la série égyptienne se laisse regarder et remplit largement son cahier de charges. Bien sûr, on est encore loin de la justesse et de la hardiesse des séries turques ou israéliennes, qui sont à l’avant-garde du Proche Orient. «Le Caire Kaboul» arrive malgré tout à «relever le niveau» de la télévision arabe qui est, on l’a dit, généralement paresseuse, frileuse et peu exigeante.

Un petit mot sur le «pitch»: quatre amis d’enfance liés et quasi soudés se retrouvent 30 ans plus tard. Ils ont pris des chemins différents. L’un d’eux est en train de devenir une sorte d’Oussama Ben Laden, l’autre est super flic. Ces deux-là vont évidemment chercher à s’éliminer l’un l’autre. Entre eux, il y a les deux derniers amis, qui agissent comme des «metteurs en relation»: l’un est journaliste, l’autre cinéaste. 

Et voilà. Ajoutez à cela quelques personnages secondaires bien typés, pour atteindre un ciblage en arc-en-ciel (le jeune, le vieux, la vieille fille, l’athée, etc.), laissez mijoter et servez-vous: vous allez déguster!

Surtout ne prêtez pas trop attention à ceux qui répandent, à droite et à gauche, que la production de la série est liée aux services de sécurité égyptiens et au généralissime Sissi himself. C’est fatiguant et, le fin mot, c’est qu’on s’en fout un peu. Dans le monde arabe, où la théorie du complot bat son plein, chaque fois que quelqu’un émerge et s’impose, on lui prête des relations, réelles ou le plus souvent fictives, avec le pouvoir en place. Classique.

Ah! Nous n’allons quand même pas oublier le petit mot de la fin. Question: est-ce que la télévision marocaine est capable de produire, c’est-à-dire écrire, financer et réaliser, une série comme «Le Caire Kaboul»? Ne vous fatiguez pas à chercher la réponse, c’est non! Mais les yeux fermés! Si un tel projet était déposé demain dans la boite à lettres de la télévision marocaine, il passerait directement à la poubelle ou serait examiné avec méfiance et dédain.

Mouais, marmonneront-ils, il y a beaucoup trop de décors, d’effets, de tournages extérieurs et en décors naturels. Et beaucoup trop de tabous à gérer aussi: l’image des services sécuritaires, les dérives de la foi, la place de dieu dans la société… Il y a même un personnage athée dans le scénario, c’est fou quand même. Comment va-t-on gérer une telle audace? Est-ce que notre public familial peut accepter un tel personnage?

Alors, concluront-ils, et sans rentrer dans les détails, ils vont estampiller à l’unanimité: «Trop cher, trop sensible, dossier rejeté!». Et merci.

Par Karim Boukhari
Le 08/05/2021 à 10h00