Dans le très beau «Hedi», le Tunisien Mohamed Ben Attia filme un jeune homme sur le point de se marier, au lendemain de la révolution du jasmin. Benali est parti mais les vieux réflexes et codes de la société traditionnelle ne sont pas partis. On prend les mêmes et on recommence.
Hedi, c’est son prénom, ne milite pour rien. Il est dans l’air du temps et ressemble à des millions de jeunes cadres moyens du monde arabe: branché mais coincé, bien sous tous rapports mais incapable de se prendre en charge et d’avoir une opinion personnelle, tiraillé entre la tradition et la modernité, entre l’individu et la communauté.
C’est un jeune Arabe qui n’a pas le temps de réfléchir. Il ne l’a jamais eu, ce temps. Il ne se l’est jamais donné. Il croit que c’est un luxe, un caprice, quelque chose de futile. Hedi est un être formaté, comme un produit de consommation. Né pour gagner de l’argent et se marier pour avoir, plus tard, enfants, maison, voiture et vacances payées. Une belle mécanique parfaitement huilée mais qui ne grince jamais, faute de grain de sable. Une machine parfaite qui ne réfléchit pas.
Mais voilà que Hedi hésite, se tâte, se cherche, doute, il fait un pas en avant, deux en arrière. Il ne sait plus dans quelle direction aller. Et il est au pied du mur. Il est à la veille de son mariage avec la jeune femme (vierge et de bonne famille) que tout le monde a choisi pour lui. Sauf lui, bien sûr!
Logiquement, inévitablement, le jeune homme finit alors par se révolter. Mais sans lever de drapeau ni crier de slogans. Sa révolution sera intime et personnelle.
Notre héros arabe, notre belle machine qui ne réfléchit pas, se déglingue. Il y a un grain de sable. Une rencontre. Une femme belle et libre comme l’air. C’est un miracle. Hedi aime ou croit aimer, et c’est la première chose qu’il réalise par lui-même, pour lui-même. Ça lui appartient. Enfin.
Alors, me diriez-vous: la révolution par l’amour, le désir, l’exploration du corps de l’autre et de son propre corps? Non, justement. La beauté de ce superbe premier film tunisien est dans sa morale, que l’on ne déchiffre qu’au dernier plan. Hedi n’est pas simplement un jeune Arabe en mal d’amour. Il est en proie à quelque chose de plus grand encore, et en même temps très simple: aller vers lui-même. L’amour, le sexe, la révolution en somme, ne lui a servi que de déclic. Une passerelle vers soi.
Hedi continuera son chemin seul. Il sera peut-être malheureux et il vient de perdre, coup sur coup, et sa mariée vierge et immaculée et son amante rayonnante comme un soleil. Mais il est libre. Adulte. Et il se prendra enfin en charge.
J’ai choisi de vous parler de ce bijou de cinéma qui a été réalisé en 2016, parce que c’est l’un des rares qui ont saisi le vrai sens, en tout cas le plus noble, de ce qu’on appelle le Printemps arabe. Derrière les enjeux géostratégiques, les affaires d’Etat, le radicalisme religieux, derrière tout ce bazar, il y a l’être humain dans sa dimension la plus irréductible: face à lui-même!
Hedi est même, et c’est rare dans le bon cinéma d’auteur contemporain, assez optimiste au final. Il nous montre un jeune arabe qui s’affranchit de la tutelle de la communauté et découvre l’individu en lui. Un vrai héros moderne. Un révolutionnaire.
Des Hedi, il n’y en a peut-être pas eu des millions depuis 2011. Mais s’il n’y en a qu’un seul, on peut dire que ça (la révolution, le désordre et tout le reste) en valait la peine. Largement, mon frère !