Le procès qui a suivi l’affaire de Chamharouch, dans laquelle deux jeunes Scandinaves ont été sauvagement assassinées, a livré un verdict prévisible. Du genre «qu’on voit même de l’avion», comme disent les Marocains.
Les trois condamnations à mort sont une réponse à la vox populi qui réclamait vengeance. Une réponse caressante. Vous voulez du sang? Vous l’aurez.
Si les Marocains avaient été sondés sur la question «que souhaitez-vous comme verdict pour les assassins des deux touristes scandinaves?», ils auraient été peut-être 99 % à répondre sans hésiter: peine de mort!
C’est évident. Tuez-les! Coupez-leur la tête! Ils ne sont pas humains! Il faut les tuer pour donner l’exemple et dissuader les autres monstres qui voudraient passer à l’action! Il faut les tuer pour épargner d’autres vies innocentes!
Certains demandaient même, très sérieusement, une mise à mort sans jugement, voire la décapitation des coupeurs de têtes selon la règle «œil pour œil…».
Ces appels sont bien sûr la voix de notre instinct le plus primitif. Celui qui appelle à venger et tuer. Je dis bien «notre instinct» parce que l’humanité entière porte cette fibre, cette puce. On a tous été victime ou témoin d’une abomination, on connait tous quelqu’un qui connaît quelqu’un qui a connu la douleur de perdre un ami ou un proche froidement assassiné. On a tous connu quelqu’un ou quelques uns dont on a un jour ou l’autre souhaité la mort, quitte à la lui donner, comme un cadeau empoisonné.
La justice marocaine a répondu favorablement à cet instinct, à cette fibre. C’est un verdict populaire, qui sera applaudi par ce qu’on appelle «la majorité».
L’affaire est-elle pour autant pliée? Non, certainement pas.
D’abord il faut savoir que le Maroc est tenu par un moratoire qui empêche l’exécution des peines de mort. Les condamnés s’accumulent depuis des années et personne n’a été exécuté. Certaines peines de mort ont été commuées en perpétuité. Les autres restent en suspens, à attendre.
Le Maroc est dans une zone grise, floue. Il continue de prononcer des peines de mort sans les exécuter. Il n’est pas dans le camp des abolitionnistes et il n’est pas dans celui d’en face. Il est entre les deux, il hésite.
L’abolition est à l’ordre du jour mais elle ne figure dans le programme d’aucun parti politique. Pourquoi? Parce que les partis adoptent des programmes populaires, consensuels, sans risques, susceptibles de plaire à la «majorité». Nous avons des leaders et des militants qui nous disent, en off bien sûr: «Entre nous la peine de mort est une abomination, quelque soit l’horreur du crime ou des crimes commis, je suis contre!».
L’abolition fait partie de leurs idées et de leurs intimes convictions. Mais pas de leur programme! Il faudrait attendre pour cela un consensus national et populaire favorable à l’abolition. Qui ne viendra peut-être jamais.
L’Etat marocain et la justice sont à peu près dans le même dilemme, même si un Etat et une justice sont par essence conservateurs.
Dans l’affaire terrible de Chamharouch, ils ont rendu un verdict démagogique. Les juges sont capables de nous dire, en off encore une fois: «Toute sentence inférieure à la peine de mort, pour une affaire comme celle-là, aurait été perçue comme une aberration, voire une provocation. Les gens en colère seraient sortis dans la rue pour protester».
Toutes ces situations inconfortables ne doivent toutefois pas nous faire oublier que la question de l’abolition est essentielle. Nous sommes concernés par les idées humanistes qui font avancer les sociétés évoluées. Nous ne sommes pas des barbares guidés par leurs seuls instincts de justiciers aveugles.
Alors, qu’est-ce que la peine de mort ? C’est donner la mort par un rendu de justice. Tuer celui qui a tué. Dit comme cela, c’est terrible parce que cela voudrait dire que la justice n’a pas évolué depuis l’ère immémoriale du «dent pour dent et œil pour œil». Nous en serions donc toujours là, éternellement, incapables de réfléchir et d’avancer, aveuglés par la douleur et assoiffés de sang? Comment l’accepter?
Au-delà de l’horreur inqualifiable et indescriptible de ce qui s’est passé à Chamharouch, au-delà des interrogations autour de ce vrai-faux retour à la peine de mort, le procès n’a pas jugé utile de statuer sur une question de fond. La plupart des accusés, y compris les tueurs, ont suivi un long cursus dans un réseau d’écoles coraniques implantées à Marrakech et régions. Ce réseau et son meneur sont bien connus de ceux qui suivent de près l’actualité marocaine…
Quelle est la nature de «l’enseignement» dispensé par ces écoles? Qui le contrôle, qui l’encadre, qui le surveille ? A-t-il un lien avec la radicalisation de ces tristes individus? Quel est le profil des «lauréats» de ce réseau, où vont-ils après, que deviennent-ils? Comment blanchir un réseau qui a réuni et «éduqué» la plupart des extrémistes de Chamharouch?
Questions légitimes et essentielles que la justice marocaine a étrangement décidé de ne pas examiner, malgré les requêtes insistantes de la partie civile…