Le mariage des enfants était habituel. Ils étaient mariés avant d’être conçus, fœtus ou nourrissons. L’espérance de vie tournait autour de 40 ans. La vie était courte, il fallait faire vite pour fonder une famille et éviter la «fornication».
Les filles étaient sacrifiées dès 6 ou 7 ans. La notion de pédophilie n’existait pas. Au Maroc, parmi les femmes âgées aujourd’hui de plus de 70 ans, nombreuses ont été mariées et déflorées à partir de 8 ans. Aujourd’hui c’est une perversion sexuelle condamnée sévèrement. La notion d’adolescence n’existait pas. Le mariage représentait un passage d’enfant à adulte.
Ce n’est que récemment que le mariage a été élevé à l’âge de 18 ans. En 2006 en France, en 2005 en Espagne où le juge peut autoriser une adolescente de 14 ans à se marier. 2017, l’Etat de New York a relevé cet âge de 14 à 18 ans.
Le Maroc autorisait le mariage pour le garçon à 18 ans et la fille à 15 ans. La réforme du Code de la Famille (2004) l’a fixé à 18 ans pour les deux. Mais ces unions perdurent. Plus de 95% concernent les filles, forcées par les parents, alors que le Coran et la législation exigent leur consentement. Leur jeune âge et la pression familiale les font fléchir.
Selon la loi, le juge peut accorder des dérogations après une expertise médicale ou une enquête sociale. Mais en réalité, il observe la fille et décide si elle est apte physiquement au mariage, à la sexualité et aux grossesses.
En 2018, 32.000 demandes de dérogation ont été soumises à la justice. 26 000 ont été accordées (81%). En 2020, 13.000 dérogations ont été accordées sur 20.000 demandes (65%).
Les juges cèdent à l’insistance des familles si la fille approche ou dépasse les 17 ans. Certains refusent, si elle est scolarisée. La mentalité traditionnelle de certains juges joue en faveur des dérogations.
Souvent, le père présente un certificat médical de bonne santé et non une expertise comme le stipule la loi. Il n’y a pas d’enquête pour savoir si la fille est consentante.
Outre ces pratiques légales, les familles utilisent la ruse en passant par el orf (mariage coutumier, sans acte). Quand la fille atteint 17 ans, le père demande une dérogation, sans informer le juge qu’elle est déjà mariée. Parfois, la fille arrive chez le juge enceinte ou avec un enfant. Il lui accorde la dérogation pour la stabilité du couple et pour l’intérêt supérieur de l’enfant. Sinon, le couple attend la majorité de l’épouse pour régulariser sa situation.
Le mariage par orf perdure. Il concerne surtout les ruraux précaires et n’aboutit pas toujours au mariage légal. Les mariées mineures peuvent être chassées du domicile conjugal, sans aucun droit, être enceintes ou avec des enfants non reconnus par les pères. Parfois la mère rurale force son fils au mariage pour avoir de l’aide, lui éviter la «débauche», l’empêcher de quitter la campagne, l’obliger à envoyer de l’argent s’il travaille en ville. Ces épouses subissent une violence physique et psychologique de la part des belles-mères.
Ces unions concernent surtout des parents qui n’ont pas utilisé de contraception et qui ont une famille nombreuse qu’ils peinent à entretenir. Les couples ont en moyenne 2 à 3 enfants qu’ils ont désirés. Ceux-là sont protégés.
Les familles, rurales ou citadines, souhaitent scolariser leurs filles. Mais le décrochage scolaire est important. Quand une fille quitte l’école, «elle devient inutile et ne sert qu’à manger le pain!». Il faut la marier: le mariage est le destin de toute fille et une protection contre le déshonneur. Une demande en mariage est un razqe (don divin) à ne pas refuser, sinon assa’de (chance) de la fille sera détruit.
Selon certains conservateurs, marier les filles jeunes, c’est lutter contre la prostitution. Mais la prostitution a toujours existé, même quand les filles étaient mariées à 8 ans!
Parfois, la mineure est orpheline, dans une situation financière et psychologique ardue. Le juge compatit pour la sauver.
La scolarité sauve les mineures. Déscolarisées, elles ne peuvent suivre une formation, à moins qu’elles aient étudié jusqu’à la troisième année du collège.
Améliorer la qualité de l’enseignement et offrir une formation à cette population est une des solutions.
Non éduquées, ces filles sont victimes de précarité, incapables d’affronter les aléas de la vie en cas de divorce ou de veuvage. Certaines sont veuves et surtout divorcées, avec des enfants à charge, sans travail, sans qualification. Elles entretiennent le cycle de pauvreté intergénérationnelle, un frein au développement du pays.
Leur corps non encore développé subit des agressions d’une sexualité forcée et de grossesses. Le taux de fausses-couches, de mortalité lors des accouchements et de mortalité d’enfants à la naissance est très élevé. Elles vivent un mal-être au niveau psychologique et émotionnel.
Les ONG sont très engagées dans la lutte contre ces unions ainsi que l’Etat qui suit de près leur évolution. Un programme national a été établi, de 2015-2025, contre toutes les formes de violence à l’égard des enfants.
Aujourd’hui, le phénomène est en baisse. Selon le ministère de la Justice (2021), ces unions sont passées de 33.686 en 2018, à 20.738 en 2019, à 12.600 en 2020. Mais les mariages par orf sont courants et échappent aux statistiques.
Le phénomène durera encore quelques décennies avant de disparaître avec les efforts des ONG et de l’Etat, un système éducatif performant et l’évolution des mentalités.
*(Dr Chakib GUESSOUS, Mariages précoces de l’Antiquité à nos jours. Anthropologie marocaine et enjeux universels, La Croisée des Chemins, 2022.)