1442, nouvelle année de l’hégire pour les musulmans. Elle marque le début de l’exil du Prophète Mohamed de la Mecque à Médine.
Savez-vous que nous autres, Marocains, nous fêtons 4 années?
L’année grégorienne, le 1er janvier. L’année juive, Roch Hachana, qui se termine cette année le 18 décembre, actuellement l’an 5780. Le 10e jour de cette année, les juifs fêtent Yom Kippour (Grand pardon). Ils demandent à Dieu d’essuyer leurs péchés.
L’année amazighe, Yennayer, actuellement 2970, est célébrée le 13 janvier. Elle célèbre la conquête de l’Egypte par le roi amazigh Sheshonq, 950 avant J.C. Yennayer est lié aux saisons et à l’agriculture.
Le premier jour de l’année de l’hégire est férié au Maroc. Mais on attend Achoura, au 10e jour, pour faire la fête.
Je me suis amusée à demander à 100 personnes, au hasard, de tous âges et tous profils, quelle est l’origine de Achoura. Je vous assure qu’aucun n’a eu la réponse! Y compris moi-même!
Pour nous, Achoura est une fête religieuse, familiale et destinée à offrir des jouets aux enfants. Le Noël des musulmans, quoi. D’ailleurs, on avait notre père Noël, Baba Aychour, qui collectait des dons qu’il distribuait aux enfants démunis et assurait l’animation pour les enfants lors de la veillée. Ce personnage a disparu. Il a été timidement réintroduit par des associations.
Quelle a été ma surprise quand j’ai découvert l’origine religieuse de Achoura. Selon deux piliers de l’islam, imam Boukhari et Muslim, en l’an 622, le prophète a migré à Médine. Il a su que les juifs jeûnaient la journée qui coïncidait, cette année-là, avec le 10e jour de muharram, pour marquer l’exode d’Egypte du prophète Moïse et des enfants d’Israël.
Notre Prophète a instauré le jeûne de 2 jours. Pour les sunnites, Achoura commémore le jour où Dieu a sauvé Moïse et son peuple du Pharaon.
Si cette date du calendrier musulman ne correspond plus aujourd’hui au calendrier juif, c’est parce que les années des uns et des autres diffèrent: pour les musulmans, c’est l’année lunaire, pour les juifs c’est l’année luni-solaire. Ne me demandez pas d’autres précisions sur ces années, moi-même je m’y perds!
Lorsque ramadan fut instauré, le prophète a rendu le jeûne de Achoura non obligatoire, mais conseillé pour expier les péchés de l’année. Il a recommandé la générosité et la bonté.
Mais si les sunnites célèbrent Achoura dans la joie, pour les chiites c’est une journée de deuil relative au massacre de l’imam Hussein, petit-fils du prophète Mohamed, décapité et mutilé par le califat omeyade en Irak, dans la ville de Karbala. Le deuil dure 40 jours. La ville de Karbala reçoit des milliers de pèlerins chiites qui défilent en se mutilant, se flagellant jusqu’au sang, en pleurant. Certains se couvrent d’un linceul, se frappent la tête pour saigner. Ils utilisent des chaînes en fer pour se flageller. Je me demande si l’expression en arabe dialectal «nayda karbala» («grand désordre») n’est pas liée aux processions de Karbala.
Pour les 100 personnes questionnées et pour tous les Marocains, Achoura est liée à la joie, aux retrouvailles familiales. Les rituels de cette fête varient d’une région à une autre. Mais offrir une taarija (un tambourin) est une coutume nationale. Les peaux de moutons de l’Aïd el-Kebir sont tannées et séchées, pour ces tambourins.
Il est aussi de coutume de garder de la viande séchée et salée, gueddide, de l’Aïd el-Kebir, ou la queue du mouton, diyyala, pour relever le goût du couscous de Achoura.
Les fruits secs, al fakya, font eux aussi partie du menu. C’est la fête de l’opulence. Il faut se rassasier pour que l’année soit faste. Les femmes se coupaient les pointes de leurs cheveux, afin qu’ils poussent généreusement.
C’est surtout la fête des enfants, qui reçoivent des jouets et des douceurs. Une pratique qui fut courante et qui tend à disparaître dans les villes est celle de Baba Aychour. Les enfants gardent l’os du gigot de l’Aïd el-Kebir et à Achoura, ils en font une poupée qu’ils placent dans un plateau et demandent, de maison en maison, haque (la part) de Baba Aychour. Ils reçoivent des friandises, des fruits secs et de l’argent. Le soir, les enfants se partagent leur butin et vont enterrer la poupée près d’un mausolée ou dans un cimetière, accompagnés de leur tambourin et de chants.
Pour certains, c’est pour se commémorer le décès de l’imam Hossein. Pour d’autres, c’est pour banaliser la mort. Je n’ai pas trouvé de version convaincante. Selon plusieurs témoignages, on chante et on danse pour oublier la mort de Hossein.
Achoura est aussi la fête des pétards, qui causent des dégâts sonores et physiques. Malgré l'interdiction de les importer, à toutes les Achoura, les pétards explosent!
Achoura est aussi liée à Zemzem, la source d’eau à la Mecque, d’origine miraculeuse. Enfants et adolescents aspergent les passants d’eau. Une pratique qui dérange. Ces dernières années, certains attaquent les passants avec des œufs crus et les enfarinent!
Achoura c’est aussi la chou3ala, un feu de camp, autour duquel on danse et on chante.
Achoura est aussi considérée, tout comme la nuit du 26e jour de ramadan, comme la nuit la plus favorable pour faire des grigris! Les herboristes y font leur plus grand chiffre d’affaires.
Enfin, Achoura est aussi la fête du don et du pardon, de silate arrahim (renouer avec les proches) et la visite aux cimetières où l’on offre des fruits secs aux nécessiteux.
Bonne année, joyeuse Achoura. Profitons-en pour recharger nos batteries en énergie positive.
2020 ne nous a pas gâtés! Puisse cette nouvelle année nous ramener… juste à la vie normale. Amen.