Lors du confinement, j’ai fait un sondage sur les sources d’insatisfaction des hommes. Certaines réponses étaient inattendues. Pour de nombreux hommes, célibataires, mais aussi mariés, ce qu’il leur manquait c’était: «nkhaddare 3ouinati» (littéralement: «que je fasse ‘verdoyer’ mes yeux»: soit contempler la beauté). La beauté de la nature? NON! Des femmes! Le plaisir de zyeuter les femmes dans l’espace public. Certains, en plaisantant, se plaignaient de ne voir comme visage féminin que l’épouse, présentée comme négligée: «confinée, ma femme était Aïcha Kandicha!». Cet homme avait donc comparé son épouse à cette ogresse des contes oraux marocains, qui séduit les hommes pour les tuer, ou encore, autre version qui «colle» à l’histoire du Maroc: une belle femme, résistante, au XVe siècle, envers les colons portugais à Mazagan (l’actuelle El Jadida). Aïcha Kandicha séduisait les soldats pour les tuer.
Quant à ce jeune célibataire, il s’est écrié: «naaari akhti! Je n’en pouvais plus! Je ne voyais que ma grand-mère fripée et ma mère qui hurlait toute la journée. Je voulais azzine (la beauté)».
J’ai alors eu envie de collecter les mots usités par les jeunes hommes pour nommer les belles femmes. La liste est longue et dénote d’une imagination masculine prolifique: zouina, zinoucha (belle), founoune (vient de fène, art), mliha et mouilha, (littéralement «salée», soit, au sens figuré «charmante»), bogossa (soit «beau gosse» au féminin), biassa («une pièce»), kenboula («bombe»), boumba («bombe»), kartassa («balle de revolver»), warda, wrida, («rose»), nowara («fleur» ), rasssouck («le meilleur article du marché»), mannequin, falloussa («poussin»), ghzala («gazelle), qtita («chaton»), nhila («petite abeille»), ra3da («tonnerre), touta («fraise»), qouqa («artichaut» -!!-), tayyaha («tombeuse»), hdida («morceau de fer», en fait, on nomme la voiture hdida, donc, il s’agit d’une femme belle comme une somptueuse voiture), satha (origine de ce terme: il s’agit d’une personne qui accapare les biens des autres. Ici, le terme est employé pour une personne qui s’impose ou qui est corpulente), noug3a («meilleure partie d’une matière», se dit pour le haschish), fasra («charmante»), labaaasse («très bien»), mryoula (alors là, je ne suis pas arrivée à déterminer l’origine ni le sens de ce néologisme de notre darija), fenkoucha (idem, mystère pour le sens de ce mot désormais usuel), wapa (vient de guapa en espagnol, une «beauté»).
Et puis ces quelques mots en amazigh: azzyounate, ifoulki, tahla, (tous trois signifiant «belle»), taffouyte («soleil»), taloubanete (soit de l’ambre gris parfumé, et aussi une variété de dattes dorées de la vallée de Draâ), ayour (soit la lune, qui rayonne sur les autres astres).
Quant aux Sahraouis, ils disent falha, chbiba…
Mais le terme le plus usité et le plus célèbre chez nos jeunes c’est titiza. J’ai cherché en vain l’origine de ce mot. Voici l’explication qu’en donne un jeune homme: «titiza vient de at-tize qui signifie en arabe dialectal le derrière. Au début, les hommes draguaient les femmes en leur disant titize, petit cul. Après, c’est devenu un compliment». Bon, je dois le reconnaître, c’est très vulgaire, mais c’est le mot le plus courant chez les jeunes.
Et les jeunes femmes? Comment nomment-elles un bel homme?Le terme le plus utilisé est titize, masculin de titiza. Moins souvent: zine («beau»), beau-gosse, lafsère («charmant»), ghzal (une «gazelle» au masculin), kourtasse («balle de revolver»), kamelwanadhy («parfait et complet»), labaaasse ou bikhiiir («très bien»), wa3ère (littéralement «dangereux», dans le sens de «top»), khamèje («pourri», mais en fait, c’est bel et bien un compliment!), khathir («dangereux»), assathe (masculin de satha), thayyahe («tombeur»), hamma («classe»), tayhammaque («il rend fou»). En amazigh, ces termes: ihla, ichwa.
Après avoir entendu tous ces jeunes hommes fantasmer sur de belles femmes, voyons comment ils nomment celles qu’ils taxent de laide. Là aussi, ils sont plus créatifs que les femmes: ghoulaet bou3ouwa, («goule» et «ogresse»), hlassa («haillon»), ferya (très péjoratif, mais l’origine du terme m’est pour l’heure inconnue), moustacha (féminin de «moustache», soit femme à barbe), khaybou3a (vient de khayba, «laide»), mcha3ch3a («ébouriffée»), mkhasra («abîmée»), 3awja («tordue»), zarga («au teint bleu»), kahloucha («brunâtre»), sida (vraiment sans commentaire), coufra («coup franc», soit une faute, au football, pénalisée par la remise de la balle à l’équipe adverse), ou alors coufra fi lghaysse («coup franc dans la boue»), ksidha («accident»), meziana (elle est «bien», mais juste pour faire l’amour), fare at-hine (une «souris de farine»), slougui (un chien au pedigree marocain, svelte et aux oreilles tombantes), qarda («guenon»), istid3a («convocation», sous-entendu au commissariat ou au tribunal), floukadayza («une barque qui ne fait que passer», donc en fait une femme insignifiante).
Les expressions sont quant à elles nombreuses: «elle est plus laide que la faim», «plus laide qu’un tfou (un crachat)», «tchoufhalaghname matar3a» (soit: «si les moutons la voyaient, ils ne pourraient plus brouter»), «matchoufefiha la lamwahma, la achchada fi hbèle» («ne doit la contempler ni la femme enceinte ayant des envies ni celle accrochée à une corde» -une référence à la manière dont les femmes accouchaient autrefois: debout, jambes écartées, accrochées à une corde qui pendait du plafond, sur laquelle elles tiraient pour garder l’équilibre et trouver la force de pousser pour expulser leur bébé).
Et puis en amazigh: ourthala, ourtzile, tkha (bref, vous l’aurez bien compris: pas belle du tout).
Les jeunes femmes sont moins éloquentes pour qualifier la laideur masculine: khayèbe ou khaybou3e («moche»), lazinelamjibekri («sans beauté et jamais ponctuel»), mafih ma yatchafe («rien à contempleren lui»), la 3alaka («aucun lien avec la beauté»), ma3foune («sale»).
En amazigh, ikhchène et takh-kha sont des mots très employés, quant aux Sahraouies, elles prononcent le plus souvent ce terme: chwayène.
Vous l’aurez constaté, la liste des mots qui sert à ces messieurs à exprimer la beauté et la laideur féminine est lonnnnnngue, comparée à celles que les femmes emploient envers eux.
Cela signifie-t-il que les femmes sont insensibles à la beauté masculine? NOOOON! C’est parce qu’une des occupations courantes et favorites des hommes est le tbarguigue (le fait de scruter puis de commenter, bref de commérer) sur le corps des femmes. De plus, les jeunes hommes passent de longs moments dans la rue, regroupés à rasse edderb («dans le coin de la rue») ainsi que sur les terrasses des cafés, à zyeuter les corps féminins et à les jauger. Il faut ajouter à cela, le fait qu’ils harcèlent intensément les femmes dans la rue, et doivent donc diversifier leurs formules pour paraître za3ma («soi-disant») originaux, et donc séduisants. Voilà donc trois «activités» qui ont fait s’enrichir le lexique masculin. Sans rancune, messieurs, ce n’est là, bien sûr, qu’une hypothèse!