Il existe des formations pour aider des personnes à trouver le courage de dire non dans le domaine professionnel et privé. Ces formations ont débuté en Occident, en entreprise. Un employé incapable de dire non à la hiérarchie, aux collègues et aux clients ne peut s’organiser. Il est saturé, inapte à honorer ses engagements. Il perd son efficacité, ses chances de réussite et tombe dans le burn-out.
Pour les psychologues, plus une personne a confiance en elle, plus elle peut dire non. Ne pas pouvoir refuser est un manque d’estime de soi. Cela en théorie. En pratique, dire non peut être impossible ou difficile face aux conventions sociales.
Dans notre société, dire non peut être lourd de conséquences, perçu comme impoli, un affront, un manque de respect, une atteinte à la dignité de la personne qui sollicite. Selon les règles de la bienséance, on ne refuse pas une demande pour rendre service, par gentillesse, par solidarité. On dit oui pour que les relations soient harmonieuses.
Dire non est hchouma, de l’insolence vis-à-vis d’une personne qui a une autorité sur vous. Cela commence au foyer: on ne dit pas non au père, à la mère et aux personnes âgées. L’enfant apprend à ne pas refuser sinon il provoque la contrariété, la colère.
En milieu scolaire, dire non à l’enseignant, c’est de l’indiscipline. Plus tard, en milieu professionnel, la personne sera incapable d’exprimer un refus à la hiérarchie, de peur de représailles.
Il ne faut pas dire non pour faire el khir (une bonne action.) On dit dire el khir ounssahe (fais une bonne action et oublie-la), il y aura toujours un retour. Mais el khir ne doit pas être fait au détriment de sa personne.
Beaucoup de personnes n’osent pas dire non: besoin de plaire, d’être aimées et la peur d’être rejetées. Ce qui crée de la pression à la personne qui est toujours prête à rendre service à sa famille, ses amis et au travail.
Dire non n’est pas facile dans une société où la franchise n’est pas recommandée. Il ne s’agit pas d’hypocrisie, mais de délicatesse. Quand on fait une demande, elle ne doit pas être directe, mais suggérée. C’est à l’autre d’en saisir le sens. Exemple: je veux déjeuner chez une amie. Mais je ne peux le lui dire directement; c’est hchouma de s’imposer. Elle doit deviner mon intention: «mon mari est en voyage et je n’aime pas manger seule». Si elle décode, elle m’invite. Sinon, ma dignité est blessée et ma susceptibilité remonte. Je ne lui dirai pas, mais je lui en voudrai de ne pas m’avoir accordé une requête que je n’ai même pas exprimée ! Ce qui crée des conflits. Notre mode de communication n’est ni franc, ni directe.
Le souab (la courtoisie) est très important chez nous et nous oblige à ne pas dire non pour ne pas blesser. D’où des situations fâcheuses: vous demandez un service à un employé. Il vous sort le fameux koun hani (soit tranquille) qui signifie en fait «tu peux compter là-dessus, mon pauvre!». Il vous fait venir plusieurs fois et invente des prétextes pour justifier son retard, espérant que vous finirez par laisser tomber. Il vous a fait perdre votre temps, votre énergie et il a perdu sa crédibilité. La franchise aurait pu éviter tout ce gâchis!
Dans nos traditions, quand une personne refuse votre demande, vous faites appel à des intermédiaires, des dignitaires: les chorfas (les descendants du Prophète), les sages de la famille, de la tribu ou du village, l'Amghar chez les Amazigh, le fqih ou toute personne respectée de tous.
Le refus peut être balayé par el âar. On sacrifie un mouton à la porte de la personne qui refuse votre requête. On dit lahte 3liha el âar (j’ai jeté sur elle el âar). Refuser el âar porte malheur. La pratique, en disparition, se fait quand une personne sollicite le pardon, une demande en mariage, une faveur… C’est dans cette esprit qu’il y a des sacrifices sur les tombeaux de saints: on répand le sang d’une bête pour pousser l’âme du saint à intervenir auprès de Dieu.
Mais les jeunes générations adoptent un mode de communication plus direct, plus franc, moins diplomatique. Ils choquent les moins jeunes qui les traitent d’impolis: may hachmouche (ils sont éhontés). D’où des conflits de génération. Rita: «je venais de me marier et ma belle-mère a téléphoné annoncer qu’elle venait dîner chez nous. Je lui ai dit que je sortais. Il y eut un scandale. Elle a raconté que je l’ai chassée de la maison de son fils!». Avec les anciens, il faut prendre des gants, être délicats pour ne pas éveiller leur susceptibilité.
Les jeunes couples subissent des pressions de la part des leurs familles respectives parce qu’ils ne peuvent pas dire une vérité qui peut choquer.
Les jeunes ont un mode de communication directe, favorisé par l’utilisation des smartphones où le langage est concis. Ils n’ont ni le temps, ni la patience de tourner autour du pot: «pourquoi ne pas dire la vérité. Je ne peux pas te recevoir ce soir. C’est simple». C’est simple pour toi car ça fait partie de ton référentiel. Mais pas pour les plus âgés! «C’est de l’hypocrisie». Non, car la franchise a ses limites, elle ne consiste pas à dire ce que l’on pense, mais à penser ce que l’on dit, en l’adaptant au référentiel de l’interlocuteur. C’est le respect de la différence.
L’adage marocain dit: li hchème fi li darrou, chitane gharrou (qui tait ce qui lui fait mal, Satan le trompe).
Dire non pour protéger son bien-être, mais avec diplomatie. La ruse peut aider: el hila hssène mel el 3ar (mieux vaux la ruse que faire du mal), dit-on.