La fréquentation des cafés par les femmes est récente et date des années 90. Les cafés étaient exclusivement masculins. Seules les femmes de mauvaises mœurs y entraient et ne pouvaient s’afficher sur les terrasses. A Casablanca, des familles allaient dans les Glaciers «pour manger la glace» et non pour passer du temps.
Aujourd’hui, des femmes de tous profils s’attablent dans les cafés et même sur les terrasses. Même dans les souks où les femmes étaient exclues, nous les voyons sous les tentes, assises en tailleur sur lahsira (tapis en nattes) ou sur les chaises. Mais en ville, dans les quartiers populaires, il y a encore des cafés fréquentés seulement par les hommes.
Dans les villes, les cafés poussent comme des champignons. Ils rivalisent en architecture, décor, ameublement… Parfois, l’investissement est si élevé qu’on se demande comment il sera amorti et si ce n’est pas du blanchiment d’argent. Les prix des consommations dépendent des quartiers et du pouvoir d’achat des habitants. Parfois, les factures sont douloureuses, surtout pour les franchises étrangères.
Avant, les Marocains se réunissaient dans les foyers, autour de tables bien garnies. Tout ce qui était servi était fait maison par des femmes qui passaient leur temps à cuisiner. La vie et les loisirs se déroulaient dans le foyer.
Aujourd’hui, les femmes n’ont plus le temps, ni l’envie de s’enfermer dans la cuisine, compte tenu de leurs nouvelles responsabilités dans, et hors du foyer. Quand elles le peuvent, elles préfèrent se retrouver dans des cafés pour souffler et partager un moment agréable, sans se fatiguer. A Tétouan, un café a ouvert exclusivement pour des femmes.
Ainsi, les loisirs des familles se déplacent vers les espaces publics.
Que d’hommes passent dans les cafés plusieurs heures. On les appelle bouwassa (embrasseurs): ils prennent un verre de café et le portent à leur bouche comme pour l’embrasser, juste en humectant leurs lèvres, pour qu’il reste rempli et leur permet de passer un long moment sans payer une autre consommation.
Certains hommes sont surnommés boutra (la poutre): ils s’installent dans un coin stratégique pour observer addakhal ou el kharèje (les entrants et les sortants) «pour que rien ne leur échappe», dit un serveur. Le café est un lieu d’oisiveté, surtout pour les hommes.
On va au café pour boire des boissons chaudes ou fraîches et casser la croûte. Souvent, les hommes y vont pour se détendre auprès de leurs amis, après une journée de travail. Mais pas les femmes: elles courent pour assumer leurs responsabilités hors du foyer et affronter une nouvelle journée de travail à domicile!
On va au café pour se ressourcer, s’isoler avec soi-même, briser la routine, changer un mur par un autre. La pandémie a fait de ces espaces des lieux de travail à distance, de réunion, de rendez-vous d’affaires, de négociations…
Ces lieux permettent de rencontrer des proches, tuer le temps, fumer (malgré l’interdiction légale). Les hommes y vont pour se retrouver entre eux, hors de l’intimité des foyers ou pour fuir l’espace réduit de la maison où les bruits empêchent de se relaxer, voir des mach de foot.
Le tberguigue. Une activité privilégiée (zyeuter les gens): les hommes balancent leur tête de gauche à droite, comme s’ils regardent un mach de tennis, pour suivre du regard les femmes qui passent. Le café est une scène de vie et parfois on y va pour observer les clients, leur aspect extérieur, leur interaction, faire de la namima (commérer sur les autres)… On y remarque les smartphones dans lesquels les clients, seuls et même accompagnés, sont plongés. Avant, ils lisaient les journaux. C’est fini.
Certains y vont pour des rendez-vous galants, s’exposant au grand jour ou se cachant dans des recoins sombres.
Le café est aussi un lieu de drague, mais attention: de drague digitale. Fini le temps où l’homme souriait à la femme, lui faisait ghmiza (un clin d’œil), où la femme lui faisait les yeux doux. Le Bluetooth s’en charge. Abdou: «avant, je visais une fille et je demandais au serveur de lui servir un panaché ou alors je payais sa facture. C’était du temps d’el kardha ou sidna Nouh (temps révolu) !
J’ouvre mon Bluetooth et je capte la liste des Bluetooth. Je vise une fille.
J’envoie au hasard un message et je vois laquelle des filles saisit son téléphone.
Si c’est une moche, je dépose mon téléphone et je regarde le plafond. Si elle est jolie, on communique ou plus… Si affinités! C’est mieux car parfois tane tsayade (je me fais avoir): la fille refuse ton panaché mais tu es obligé de le payer… Donc la didi la hab mellouk (tu n’obtiens rien)!»
Le café est devenu une salle d’études pour les étudiants, surtout s’il offre un accès à Internet.
On voit aussi apparaître des cafés littéraires, où le consommateur est invité à joindre l’utile à l’agréable. Ils sont rares, mais ont du succès.
Enfin, un phénomène récent: des femmes serveuses. Hier encore, seules les femmes considérées de «mauvaises mœurs» osaient faire ce métier.
Aujourd’hui, elles sont diplômées et respectées.
Les cafés sont devenus indispensables à la vie de la cité, un lieu de sociabilisation incontournable. Les opportunités culturelles sont si rares, les loisirs si coûteux, qu’ils s’imposent comme seul lieu de loisirs.
En ces temps de pandémie, les cafés connaissent un grand succès car ils font partie des rares loisirs encore permis. Selon le HCP (2012), 1% des femmes et 25% des hommes y restent en moyenne deux heures par jour. Le temps alloué au sport et à la lecture est de 2 minutes par jour! Un bon dosage serait le bienvenu!