Al adabe et souabe. Al adabe c’est la politesse, la courtoisie. Souabe est l’ensemble des formules d’al adabe qui constitue la bienséance. Elles sont souvent des prières en faveur du récepteur.
Quelques exemples transcrits en français, pénibles à lire, mais ils valent le coup!
Des formules de bienvenue répétées plusieurs fois aux invités: marhba, réponse: Allah ybarak fik ou alors bik wahla. Nhar kbir (une grande journée), réponse: Allah ykabbar bik (Dieu te valorise), zaratna baraka (la baraka nous a rendus visite)…
Un invité dit après avoir mangé, Allah yakhlèfe (Dieu vous récompense), réponse: bissaha. Les hôtes: jake alkhir (que tu reçoives de l’abondance), et s’excusent: machi dkhaltak âandna (tu mérites un meilleur accueil). La réponse peut être: Allah ydakhlak fi ejjana (Dieu t’introduise au paradis) ou baraka Allah fike (Dieu te bénisse).
Si on dit que le repas est copieux, l’hôte répond: Ntouma moualine alkhir (c’est vous qui avez de l’opulence). On le dit aussi quand une personne vous remercie d’avoir eu un cadeau.
Quand un plat est bon, Allah ya’tik saha (Dieu te donne la santé). Réponse: bsahtake (avec ta santé). Tu sors du hammam: bsahtake. Réponse: Allay ya’tiq sahha. Tu éternues: rahimak Allah (Dieu te bénisse), réponse: yaghfar li oualik Allah (Dieu nous pardonne à tous les deux).
Tu te penches vers une personne pour la servir: tahna ‘la kbar Anbi (que tu te penches sur la tombe du Prophète).
Il y aussi des formules qui sont des talismans verbaux, pour protéger du mauvais œil. Tous les compliments doivent être accompagnés de tbarka Allah (Dieu vous bénisse) et de khamsa wa khmis (5 et 5, la main de Fatma).
On raconte un malheur ? Dire qiasse elkheir, Allah yhfadkoum ou alors bâade labla. Si on raconte sa souffrance, machkite ‘like (je ne me plains pas à toi).
A un malade, labasse ‘like ou Allah ygaâde oussadak (Dieu relève ton oreiller). Réponse: maykoune ânedak basse (que tu n’aies pas de mal). A une personne qui voyage, trike slama (bonne route). Au retour, ‘laslama. Pour féliciter, mbarak mas’oude.
Si une personne acquiert quelque chose de nouveau: Allah idakhlou ‘lik belkhire (qu’il te porte bonheur) ou Allah imat’âke bihe (Dieu t’en fasse jouir).
On raconte un bel évènement, manekounou mâake ou alors laâgouba like (que ça t’arrive toi aussi).
Pour exprimer son désaccord avec quelqu’un, on commence par klamak houwa lakbir (tes paroles sont supérieures). Si on interrompe une personne qui parle, qta’te klamak bela’selle (j’ai coupé ta parole avec du miel).
Quand une épouse décède, certains hommes disent au veuf: Allah yjaddade frachèk (Dieu renouvelle ton lit), mais à la veuve, on dit thallaye fi wlidatek (occupe-toi bien de tes enfants) !
On dit hachak (sauf ton respect) pour parler des WC, des poubelles, de ce qui pue, de l’âne, du chien et pour un mot considéré comme hchouma (honteux).
Le dialecte amazigh adresse des prières. Pour des nouveaux mariés, aysâade Rabbi (Dieu vous donne la joie), pour une naissance, ayslah Rabbi (Dieu en fasse une personne bien). Pour un voyageur, abard aghoudane. Les formules diffèrent selon les différents dialectes amazighs.
Les Marocains juifs ont des formules similaires aux musulmans. Mais dans le dialecte judéo-marocain, il y a d’autres expressions: une mère exprime son amour à son enfant: namchi qabbara (que je meure à ta place).
A une personne qui souffre, nâabbi bassèke (que je prenne ton mal). Pour parler dans une maison d’un décès ou d’un malheur, mghir ade addar (sauf cette maison).
Mais là où souabe est immense, poétique, c’est au Sahara. Marahba (bienvenue) est répété sans cesse aux invités. Trik al-bbane (route de petit lait) pour souhaiter aux voyageurs du désert de traverser de la végétation, de la verdure, car quand il y a eu une bonne pluviométrie, le lait est abondant. Pour une naissance, Allah ija’lou mine zyade jmaâa, (qu’il ou qu’elle grandisse la tribu). Waynni bik, oukhyarte pour complimenter une personne, lui dire qu’elle appartient à lkhayma lakbira (grande famille généreuse)…
Ne pas respecter souabe peut choquer. Pour des condoléances, on dit lbaraka fi rassèk (la baraka soit sur toi). Réponse mamcha mâak basse (que le mal ne t’accompagne pas). Un jeune, ignorant la formule, peut répondre Allah ibarak fik (Dieu te bénisse). Le choc!
Les aînés maîtrisent l’art du souabe, mais pas les jeunes, qualifiés de qlaline assouabe (impolis). En fait, ils ont leur propre code de souabe, bien plus restreint.
Exemple: merci est exprimé de différentes façons, en invoquant Dieu: Allah ya’tike alkhir, yakhlaf, yhafdak, yarham alwalidine…
Mais les jeunes, par manque de temps, utilisent la version moderne, choukrane. Leur réponse: al ‘afwou ou alors makayne mouchkil (pas de problème) ou hany (tranquille). Pour saluer, ils utilisent salam, labbasse, alors que les aînés partent sur une longue tirade, demandent des nouvelles des uns et des autres, jusqu’à ach khbar ma âaze ‘like (comment vont ceux qui te sont chers).
Outre le manque de temps, l’écriture abrégée dans la communication électronique a porté atteinte à souabe. Les internautes utilisent le minimum de mots pour exprimer le maximum d’idées. Cependant, il existe une charte qui définit les règles de politesse dans l’utilisation d’Internet, appelée «nétiquette» pour garantir des échanges respectant un certain code de souabe.
Souabe, de douces paroles, agréables à l’oreille, qui font plaisir. Un puissant facteur de cohésion sociale dont il faut conserver un minimum. L’adage marocain dit: la’dawa tabta ou souabe ykoune (maintenir souabe même dans la haine). Tbarka Allah ‘likoum!