Dans les pays arabes, l’âge du mariage a reculé. Comment satisfaire leurs populations jeunes, en pleine puissance sexuelle? Au Maroc, l’âge moyen du premier mariage est de 26 ans pour les femmes et 31 ans pour les hommes. Les interdits sexuels imposent donc aux jeunes au moins 15 ans d’abstinence sexuelle avant le mariage. Mais les sociétés arabes sont permissives avec les hommes et restrictives envers les femmes. Le célibat prolongé augmente les frustrations chez les hommes et surtout chez les femmes.
Dans «Mariage et concubinage dans les pays arabes» (La croisée des chemins, 2018), Dr Chakib Guessous explique comment des pays ont innové pour détourner l’interdit sexuel. En Iran, pays chiite, lors de la révolution de 1979, les religieux dont Khomeiny et Rafsandjani ont encouragé "zawaj al mout'âa" (union de jouissance), interdit pour les sunnites. Le couple fixe la durée de l’union: des heures, des mois ou plus. Si un enfant naît, il a les mêmes droits qu'un enfant légitime. Mais si l’union n’a pas été officialisée par un mollah, le père peut refuser de reconnaître l'enfant.
Au Liban, Fadlallah, leader spirituel des chiites et du Hezbollah, a aussi prôné cette union pour les jeunes. L’ampleur de zawaj al mut’âa est difficile à estimer à cause de son caractère secret. Il est plus pratiqué dans le milieu estudiantin, y compris parfois par des sunnites en Irak, Egypte, Algérie et Turquie.
Le mariage coutumier, par "al fatiha" ou "zawaj orfi" est conforme aux critères de l’Islam, mais n’est pas enregistré. En Egypte, il est conclu par la signature des deux fiancés et deux témoins d’un formulaire vendu dans le commerce. Le mari le garde et le déchire quand il veut rompre. Ce mariage diminuait en Egypte. Mais le recul de l’âge du mariage le remet à la surface: épouser une mineure, une seconde femme ou juste vivre une sexualité licite.
Nikah al-misyar (mariage du voyageur) est apparu fin du siècle dernier, dans les pays du Golfe. L’union répond aux conditions de l’Islam, mais la mariée renonce à ses droits: cohabitation avec l’époux, partage égal des nuitées en cas de polygamie et son entretien financier par l’époux. La mariée habite seule ou chez les siens et vit séparée de son mari. Selon les oulémas, il lui rend visite quand il veut et exige d’elle des relations sexuelles qu’elle doit accepter.
Il s’agit surtout de femmes veuves ou divorcées, ayant des enfants et qui ont peu de chance de se remarier. Le mariage "al-misyar" n’a pas de base dans le "fiqh" puisque c’est un montage juridique récent. Ces unions sont en forte expansion, surtout en Arabie saoudite, Koweït, Emirats arabes unis et Yémen.
Toujours selon Dr Guessous, après le printemps arabe, ces unions ont gagné le Maghreb. De nombreux jeunes et étudiants, souvent salafistes, font des mariage "orfi" pour éviter le péché, souvent sans cohabitation, en cachette des familles.
Pendant leurs vacances en Egypte, des riches du Golfe contractent des unions orfi avec des jeunes égyptiennes ou des réfugiées syriennes. Le flot de touristes “nuptiaux“ est si important que des agences se sont spécialisées dans ce créneau. Le contrat signé par le couple lui permet de vivre sa sexualité sans être inquiété par la police. Mais pour l’époux, le mariage est temporaire, donc à terme. Il devient zawaj "al mut’âa" pourtant interdit chez les sunnites. Un intermédiaire égyptien moyen arrangerait quelque 2000 mariages par an!
En Tunisie, ces unions se sont amplifiées lors de la Révolution de jasmin chez les étudiants. Un document est rédigé à la main et signé, en présence de deux témoins. C’est un mariage orfi. Mais, souvent, il est conclu avec l’intention de se quitter, à la fin des études ou de l’année. Il devient zawaj "al mut’âa". L’absence d’entretien et de cohabitation en fait également un "nikah al-misyar". Donc interdit pour les sunnites.
En Tunisie, le mariage "orfi" évolue, surtout dans les milieux conservateurs. Fin 2012, 80% des étudiants, garçons et filles, sympathisants du parti islamiste au pouvoir, auraient conclu cette union.
Entre deux mariages, les jeunes femmes peuvent se faire restituer leur hymen, opération devenue fréquente en Egypte et en Tunisie. Une fatwa de Dar al Ifta’ d’Egypte (2007) la préconise. Le grand mufti sunnite d’Egypte se base sur le principe religieux de satr, protéger la réputation. La fatwa a créé une grande polémique. L’élite universitaire et théologique de l’université d’Al-Azhar l’a approuvé et permis aux médecins de procéder à cette intervention.
En Algérie, les mariages orfi sont fréquents, souvent secrets et avec l’intention de divorcer. Les premiers cas ont été au campus universitaire d’Alger, parmi les étudiants en jurisprudence islamique. Des réseaux se seraient organisés pour des unions avec des jeunes refugiées syriennes à Alger et à Oran.
Au Maroc, ces unions sont arrivées fin du siècle dernier et se sont accrues: sans acte, ni témoins, juste en prononçant la phrase: "zawajtouki nafsi amama Allah" (je t’épouse devant Dieu). Il y a aussi des unions orfi par de jeunes salafistes, surtout des étudiants, qui ne durent que quelques semaines ou quelques mois, le temps de calmer les ardeurs sexuelles.
Quel intérêt pour les femmes? Elles vivent des relations amoureuses et sexuelles sans culpabilité. Mais ces unions sont souvent éphémères. Elles favorisent les hommes et font des victimes parmi les femmes. Si un enfant naît, la femme aura le statut de mère célibataire. Elle devra affronter, toute seule, sa famille, la société et la justice.