La rentrée scolaire s’inscrivait dans un planning clair. Le souci des parents? Les lourdes factures. Aujourd’hui, c’est le flou total, y compris pour les décideurs. Impossible de se projeter dans le moyen ou le long terme. Ils naviguent à vue, tâtonnent face à des éléments d’analyse mouvants, non maîtrisables.
Cette situation provoque la colère, l’indignation et de fortes critiques. Normal, nous sommes dans le tourbillon de l’incertitude, dans les changements brutaux et imprévisibles. Nous avons besoin de stabilité, de vision claire pour être sereins, sinon c’est la peur, l’anxiété, la psychose…
Les parents sont face à un dilemme douloureux: présentiel ou distanciel? «Je préfère qu’il fasse une année blanche plutôt qu’il meure ou qu’il nous contamine», disent de nombreux parents. Est-ce une bonne solution? Pendant une année, que feraient les enfants et adolescents comme activités? Privés d’établissements scolaires et non confinés, ils occuperaient l’espace public et s’exposeraient au virus. Scolarisés dans des conditions sanitaires strictes, ils seront mieux protégés. Ou pas! L’incertitude. D’autres voudraient reporter la rentrée à janvier. Mais qui garantit la fin de la pandémie en janvier? Que feraient les enfants en attendant? Ils se mettront en danger hors de chez eux. Ou pas! Incertitude.
Pour protéger leurs enfants, des parents préfèrent le distanciel… Pas tous. Une maman: «mon mari et moi travaillons. Qui va garder nos enfants?»… Il faut les garder et surtout les suivre dans leur scolarité à distance. Combien de parents en sont capables?
De nombreux parents font migrer leurs enfants du privé au public: «si c’est pour rester à la maison, je préfère le public, sans payer de frais». D’autres parents font ce choix forcé suite à la baisse ou à l’arrêt de leurs revenus. D’autres parents préfèrent le présentiel, mais y a le risque des transports publics, du non-respect des règles sanitaires. Ou pas! Incertitude. Les parents sont perplexes, surtout que le ministère de l’Education leur a donné un choix: «c’est pas normal de rejeter la responsabilité sur nous. C’est à eux de prendre les bonnes décisions». Oui, mais lesquelles, quand on est otage d’un virus? D’autres parents ne savent pas, ne comprennent pas… Le chaos!
Les parents ont-ils toujours le choix? Moins de 6 ménages sur 10, tous citadins, sont équipés en ordinateur ou tablette, et en wifi. C’est souvent un seul appareil pour toute la famille. Près de 90% des Marocains de plus de 5 ans ont un smartphone. Mais tous n’ont pas d’abonnement à Internet. Ils rechargent en fonction de leur faible budget. Mais le distanciel dévore les gigas, surtout quand il y a deux ou trois enfants scolarisés, devant être tous connectés. Les ruraux sont marginalisés.
La pandémie a révélé une grande fracture numérique. Mais elle a propulsé le Maroc dans la digitalisation. Un grand avantage!
Les élèves et les étudiants veulent le présentiel. Ayman: «on s’ennuie à la maison, on est isolé. Horrible!». Pire pour les filles. Lilya: «je veux fuir le ménage et la cuisine. Le distanciel, c’est la prison!».
L’enseignement à distance sera la règle et dépendra de l’évolution de la situation: du distanciel au présentiel et vice-versa. Pas d’autres choix que de jouer à cache-cache avec le virus.
Les parents peuvent demander le présentiel qui ne leur sera accordé que si l’institution répond aux normes sanitaires. Des séances présentielles seront organisées pour que l'élève rencontre ses enseignants.
Les établissements scolaires, privés et publics, citadins et ruraux, déploient de grands efforts matériels et humains pour respecter les normes. Les enseignants sont très sollicités, leur charge de travail alourdie et leur emploi de temps allongé. Mais aucun scénario n’a sécurisé les parents. Et ça se comprend! Que faire? Aucun pays n’a réussi sa scolarité sans risque et l’OMS met en garde contre les risques de la reprise de la scolarité.
Si chacun de nous se comporte avec responsabilité et si nous veillons à ce que nos enfants respectent les règles sanitaires, nous contribuerons à lutter contre la pandémie.
L’Etat distribue un million de cartables aux nécessiteux. Mais dans l’ère du digital, le cartable ne contient que des livres et des cahiers. Qui dit distanciel, dit équipement informatique. C’est l’occasion de réduire la fracture numérique en équipant tous les Marocains nécessiteux scolarisés et les enseignants, surtout du cycle primaire. Un ordinateur coûte plus d’un mois de salaire d’un instituteur. Réduire la fracture numérique, c’est aussi de la responsabilité de l’ANRT, pour garantir la gratuité d’Internet. Les programmes scolaires dans les chaînes de télévision sont utiles, mais sans cette interaction indispensable à l’apprenant. Cette pandémie est un défi pour le Maroc: anéantir l’exclusion numérique et réussir l’inclusion numérique pour ses jeunes, afin de relever le niveau de son système scolaire. Il est inadmissible, aujourd’hui, d’avoir une grande partie de l’enseignement qui se fait encore sur des tableaux noirs avec de la craie blanche!
En attendant que cela se réalise, nous autres citoyens, et membres de la société civile, pouvons être encore plus solidaires en dotant des démunis d’outils informatiques et d’abonnement à Internet, si nos moyens le permettent.
De grands efforts sont déployés par les ministères de l’Education, de la Santé, de l’Intérieur… Saluons ces efforts, même si elles ne satisfont pas toujours. Pensons à tous nos concitoyens qui travaillent sans relâche depuis plus de six mois.
La pandémie finira bien par disparaître. Il y en a eu d’autres à travers l’histoire. La scolarité peut se rattraper. L’important est de rester en vie et d’essayer de conserver sa joie de vivre. Car si le Covid est contagieux, la joie l’est encore plus.