Humour et dérision, un art où les Marocains excellent, via internet, pour contester, protester et faire de la résistance à des faits politiques et sociaux. Epatante, la rapidité avec laquelle les situations pénibles sont tournées à la dérision, surtout depuis le début de la pandémie. Et… depuis les inondations de Casablanca! Merci aux internautes qui stimulent nos rires. Mais…
D’abord quelques exemples. Des postes: «Welcome to Aquablanca». «Gilet de sauvetage obligatoire dans la voiture». «Nous sommes chanceux au Maroc; en été nous allons à la plage, en hiver la plage vient à nous». «Capacité des barrages selon les quartiers: Ain Chock 100%, Maarif 75%, Ain Sebaa 80%». « Soubhana Allah (Dieu soit loué), dès qu’on s’est réconcilié avec les Israéliens, la pluie abonde!». «La police recherche ceux qui ont fait salate listiska’ (prière collective pour demander la pluie) ».
Quant aux photos, c’est le délire: un homme endormi, ayant pris la précaution de se mettre dans une bouée. La photo culte du film Titanic: Lenoardo Dicaprio à l’avant du bateau, tenant dans ses bras Rose: «Rose, halli 3aynike, wselna li zerktouni (ouvre tes yeux, nous sommes arrivés au boulevard Zerktouni).
Sous l’eau, un homme avec un masque de plongée et un tuba: «Port du nouveau masque».
Un gardien de voiture sur l’échelle du maître-nageur: zide braki (braque) à bâbord».
Un plongeur avec son scaphandre, sous l’eau, demande où se trouve le commissariat. Nouveaux taxis de Casa: voiture volante ou jet ski.
Un agent de circulation demande à un automobiliste les papiers du bateau. Un plongeur avec un harpon : « nouveau type de voleurs à Casa ». Une très belle femme en maillot, sur un jetsky: «Cherche covoiturage. Maarif à Sidi Maarouf. RDV à 8h. Prière de confirmer».
Photo réelle dans une rue: deux enfants flottent sur un matelas de lit à côté d’un café, une voiture attachée aux barreaux d’une fenêtre pour ne pas être emportée par l’eau: «l’important c’est pas ces enfants, ni la voiture, c’est le vœu du propriétaire du café qui s’est exaucé». Le café s’appelle: café de l’île.
La photo d’un petit dauphin tout mignon qui émerge de l’eau: «Khalti (tante), je dépose ton pain au four?», à l’instar des jeunes des quartiers populaires qui proposent aux voisines de leur ramener le pain au four public.
Face au chaos, le Chef du gouvernement: «les égouts de Casablanca ont fermé hier à 20h à cause du couvre-feu. C’est ce qui explique les inondations». En lien avec la récente victoire militaire marocaine au Sahara, à El Guerguerat: «on a gagné Gargarate et on a oublié al karkarates (les égouts)».
Un audio: «ça va Yacine avec les inondations?». L’autre émet le son d’une personne noyée.
Les vidéos sont nombreuses. L’une, réelle, montre une sandale flottante, sur laquelle s’est réfugié un rat, avec la musique du Titanic.
Le couvercle d’une bouche d’égout qui se soulève et retombe sous la pression de l’eau, synchronisé avec une chanson populaire, comme s’il faisait la rekza (danse avec claquettes).
Une vidéo montre l’eau qui ruisselle des murs d’un boulevard: «Cascade du quartier Ain Sebaa. Qui dit que Casa n’a pas de beaux paysages?».
Et du romantisme: une femme traverse la rue; un homme lui pose une première chaise sur laquelle elle se met. Ensuite, il avance une deuxième chaise. Il reprend la première chaise et la met en avant.... Elle traverse sans se mouiller, alors que lui a le corps dans l’eau. Une rue de Sebta et une pharmacie inondées: «voici la preuve que Sebta est bien marocaine».
Enfin, les politiques ont leur dose. Un montage: le parlement marocain et les parlementaires; au centre, une piscine avec toboggan où nagent des enfants bruyants.
En lien avec la victoire à El Guerguerat, le film des inondations de Casa, accompagné d’une chanson: «oh ma mère, ils se sont photographiés à Gargarate, Casa gharkate (s’est noyée). Ils ont oublié al karkarates (les égouts)».
Mais… Oui, l’humour nous est salutaire dans les moments durs. Quand je dis nous, j’exclus les 4 victimes qui ont perdu la vie, j’exclus leur famille et ceux qui ont perdu leur logement, leur mobilier, leur emploi…
Nous, ce sont les citoyens qui observaient le drame, impuissants, et qui ne comprenaient pas comment une telle catastrophe ait pu survenir dans la capitale économique du Royaume.
Les réseaux sociaux se sont enflammés, accusant la Lydec qui gère l’assainissement. Pour moi, la responsabilité incombe d’abord au Conseil de la ville, en charge de contrôler les sociétés délégataires de la gestion des services communaux.
En attendant que le Maire de Casablanca endosse sa responsabilité au lieu de chercher des boucs émissaires, j’espère que le Fonds de solidarité contre les événements catastrophiques indemnisera rapidement les victimes. Une enquête devrait désigner le ou les responsables, y compris les citoyens qui encombrent les égouts de déchets.
Mais… L’humour et la dérision ne sauraient nous faire oublier, nous, Etat et citoyens, que des dizaines de familles ont subi injustement de grands préjudices.
Nous n’avons pas le droit d’oublier. Une tendre pensée pour toutes ces victimes de la négligence.
Je souhaite qu’en cette nouvelle année agraire 2971, utilisée par les Amazighs depuis l’Antiquité, ces victimes soient indemnisées comme ils le méritent et les responsables incriminés… comme ils le méritent! Assougasse afoulki, sana sa3ida, bonne année.