Il y a longtemps que j’évite la route de Oulad Ziane, à Casablanca, à cause des travaux du tramway.
La semaine dernière, j’y suis passée. Mon Dieu! J’ai été traumatisée, scandalisée, ahurie par un spectacle inhumain, inimaginable chez nous.
Le long du boulevard, au milieu de la chaussée, sur la voie du tramway en construction, des dizaines d’émigrés de différents pays d’Afrique de l’Ouest ont fait de cet espace un hôtel à ciel ouvert. Automobilistes et motards circulent à leur droite et à leur gauche... en toute indifférence!
Des corps allongés ou en position fœtale, enroulés dans des couvertures salies par le manque d’hygiène. Des jeunes hommes émergeant d’un sommeil douloureux, à la belle étoile mais sans romantisme, étirant leur corps endoloris par la rudesse du sol, assommés par la terrible cacophonie des klaxons.
Ils font leur toilette en public, semblent planer, comme dans des bulles individuelles, pour trouver le courage de s’adapter à leur déchéance. Ils se lavent le visage avec un petit pot d’eau utilisée précieusement, mendiée dans les stations-services ou à des commerçants. D’autres se rasent face à des débris de miroirs.
D’autres se changent pudiquement, couverts de morceaux d’étoffe. Certains sirotent des boissons froides: au milieu de la chaussée, il n’y a aucun moyen de les chauffer. D’autres plantent leurs dents dans du pain harfi (sans accompagnement). D’autres, les yeux hagards, fixés au sol ou suivant les voitures qui défilent, se lamentent sur la destruction de leurs rêves naïfs d’émigration dans un «paradis occidental».
D’autres, déjà prêts, quittent les lieux, un sac en plastique à la main, contenant les maigres bagages qu’ils porteront toute la journée. Aucun lieu n’est sûr pour y laisser ses effets personnels en attendant la nuit.
J’écarquille bien mes yeux pour m’assurer que ce que je vois est vraiment la réalité! J’en eus la nausée!
Mais à part compatir et partager avec vous l’information, que puis-je faire pour eux?
En ce moment, avec la chaleur, la rue est le refuge des misérables. Mais que se passera-t-il sous le froid et la pluie?
Ces clandestins s’abritaient près de la gare routière Oulad Ziane. Tout le voisinage était parsemé de squats, y compris sous les ponts des bretelles de l’autoroute urbaine.
Des opérations de délogement par les autorités ont eu lieu en mars 2021 et en mai 2022 pour libérer l’espace public occupé par des ressortissants de pays d’Afrique de l’Ouest, femmes, hommes et enfants. Les habitants se se sont plaints de problèmes d’hygiène. Les coins de rue sombres et l’espace sous les ponts servaient de toilettes et de poubelles.
Certains ont bénéficié de la solidarité de riverains qui leur ont offert des matelas, des couvertures, des habits. Des associations interviennent, ainsi que le SAMU social, mais le phénomène les dépasse.
Les autorités ont détruit les logements insalubres. Hommes, femmes et enfants ont été déployés ailleurs.
Où? Je l’ignore. Sur la route Oulad Ziane, je n’ai vu que des hommes, aucune femme, aucun enfant.
Le Maroc a entrepris plusieurs campagnes de régularisation de leur séjour. Depuis 2013, des milliers de clandestins, principalement des ressortissants de pays d’Afrique de l’Ouest, ont vu leur situation administrative régularisée. Mais beaucoup n’ont pas entamé la procédure.
Pourquoi? Selon des jeunes que j’ai questionnés à l’emplacement du tramway, le Maroc n’est qu’un transit pour eux, en attendant de traverser le détroit de Gibraltar. Mais passer à Sebta ou Melilia est devenu quasi-impossible. Nombre d’entre eux ont essayé d’en escalader les clôtures. Après ces échecs, ils ont été conduits par les autorités marocaines dans plusieurs villes, dont Casablanca.
Certains choisissent Casablanca car, comme l’a dit l’un d’entre eux, «ici, il y a de l’argent», faisant allusion à la mendicité. Mais le rêve du départ est toujours présent. Se stabiliser au Maroc, être régularisé ne fait pas partie de leurs projets.
D’autres craignent de se présenter aux autorités, d’être fichés, voire expulsés, alors que cela ne fait pas partie de la politique migratoire du Maroc.
De pays de transit, le Maroc devient un pays d'accueil pour des centaines d’immigrés qui s’y installent définitivement. En 2021, une enquête du HCP a révélé que plus de la moitié des migrants veulent s’installer au Maroc. Beaucoup de familles finissent par se stabiliser, d’autant que l’intégration de leurs enfants dans le système scolaire a été facilitée.
Si la mendicité est usuelle et fait vivre nombre d’entre eux, d’autres s’intègrent par le travail. Mais souvent sans qualification professionnelle, car même si leur situation administrative est régularisée, ils peinent à trouver du travail et sont surtout employés sans être déclarés.
L’intégration n’est pas toujours aisée comme le témoigne ce jeune: «j’ai eu mes papiers, mais travaillant dans l’informel, je n’ai pas pu louer un logement. Pour renouveler ma carte de séjour, j’ai besoin d’un logement. Je suis dans un cercle vicieux! La nuit j’habite dans la rue et le jour, je travaille avec un commerçant».
Selon l’enquête du HCP, seule la moitié d’entre eux ont un travail et plus de 27% d’entre eux sont au chômage.
Aucun être humain ne mérite cette déchéance, d’autant qu’elle entraîne aussi les familles et leurs enfants.
Que peut-on faire pour eux, des foyers d’accueil de nuit afin qu’ils se lavent, mangent et dorment dignement? Difficile à envisager, puisque même les Marocains SDF n’en disposent pas. Et puisque même les pays européens n’arrivent pas à les intégrer dans des foyers d’accueil!
Le Maroc, tout comme d’autres pays européens, sera de plus en plus confronté à cette immigration venue d’autres pays d’Afrique, où sévit la sécheresse, ce qui entraîne une forte migration ayant le changement climatique pour cause.
La preuve, même si le passage à l’Europe à partir du Maroc devient quasi-impossible, le flot continue: la Marine royale a secouru 14.236 migrants dans l’Atlantique et la Méditerranée en 2021, et déjoué 63.1211 tentatives d’émigration en Espagne.