Kenza: «après mon second accouchement, j’étais épuisée. Mon mari me prenait de force. Une nuit, j’ai fui dans la chambre des enfants. Il m’a suivie, nu, et m’a traînée jusqu’à la chambre, face à nos fils».
Habiba: «il m’a enfoncé une carotte. J’ai été au commissariat. Il s’est vengé en me défonçant l’anus. J’ai retiré ma plainte. Divorcée, je ne pourrais pas faire vivre mes enfants».
2013, El Jadida. Une épouse dépose plainte pour viol conjugal et sodomie. Le certificat médical atteste de fissures vaginales larges, provoquant des maladies hémorroïdales.
Les juges ont admis que la sexualité forcée était une violence, que tout n’est pas admis entre les époux et que l’épouse subit un acte contre nature, une atteinte à la pudeur, pénalisée (art.485). Mais le mari a bénéficié de circonstances atténuantes!
Tanger, 2018. Une femme porte plainte. Le couple détient son acte de mariage mais ne cohabite pas. Il attend la cérémonie de mariage pour fêter la défloration. Impatient, le mari viole sa belle: déchirures vaginales attestées par le médecin. La cour d’appel condamne le mari pour «viol» à deux ans de prison ferme, qui, en appel, sont converties en deux années avec sursis. En fait, la victime a retiré sa plainte et notre espoir de jurisprudence est tombé à l’eau!
Selon l’OMS, le viol est «tout acte de pénétration, même légère, de la vulve ou de l’anus, imposé par la force physique, utilisant un pénis, d’autre partie du corps ou un objet… Le viol peut comprendre d’autres formes d’agression, dans lesquels intervient un organe sexuel, notamment le contact imposé entre la bouche et le pénis, la vulve ou l’anus».
Selon le Code Pénal marocain (art. 486), le viol, «l’acte par lequel un homme a des relations sexuelles avec une femme contre le gré de celle-ci», est puni de 5 à 10 ans. Mais il ne parle pas d’intromission, ni de la nature de l’acte sexuel. Il parle seulement de femmes et pas d’épouses ni d’hommes violés.
Lors d’une étude que j’ai effectuée*, les personnes questionnées refusaient d’admettre un viol entre époux et ce, même des juristes, des religieux, des membres des autorités, des médecins…
Le devoir conjugal prime sur le désir mutuel. Le désir de l’épouse est dénié. Dans cette enquête, les hommes justifiaient ce viol par le refus de l’épouse.
«Elle le pousse à l’adultère, au péché qu’elle endossera face à Dieu.»
Les victimes, rencontrées dans des centres d’écoute des associations dans différentes villes, nomment rarement le viol. Elles disent taytkarfèsse ‘lya (il me maltraite). Seules les jeunes lettrées disent tayaghtassebni.
Une petite minorité va dans ces centres, mais après des années de maltraitance, après des blessures dans le vagin et l’anus, des hémorragies…
Parfois, la victime est accompagnée de sa fille, qui la force à parler. Souvent, les épouses ne sont pas conscientes d’être violées.
Elles ne le dénoncent pas, par crainte de la vengeance des maris, de retour à la maison. Il y a peu de centres d’hébergement pour ces femmes.
Elles se taisent pour leurs enfants et la réputation de la famille qui leur dit: «ne fais pas emprisonner le père de tes enfants».
Entretenir l’épouse donne tous les droits sur son corps. «Si je refuse, il ne me donne plus d’argent pour manger.»
Le désaccord est sur la fréquence: «je me refuse quand je suis épuisée par le travail et le foyer. Il me prend de force». Il peut être lié à une hypersexualité: «je n’en peux plus. Je suis madboura. Je saigne tout le temps!». L’acte s’effectue violemment, sans préliminaires. Le vagin n’est pas lubrifié; le coït devient douloureux.
Les hommes, expérimentés sexuellement, épousent des vierges, bloquées par la hchouma. Ils sont exigeants à cause de la pornographie accessible sur les smartphones. Les croyances religieuses s’y mêlent: les jeux de l’amour, prônés par l’Islam, sont, pour les femmes, péchés. Leur refus énerve les maris.
Elles se laissent faire: «sinon, il me bat. Les enfants entendent ses hurlements et mes pleurs!».
Le mari bat l’épouse «rebelle», lui tire les cheveux, la pince, la mord, la griffe, lui attache les mains, la brûle avec des cigarettes, lui cogne la tête contre le mur, lui introduit des objets dans le vagin ou dans l’anus: gourdin, bouteille, savon, carotte, banane…
Des pratiques perverses, souvent liées à l’alcoolisme et la toxicomanie: obliger l’épouse à faire l’amour à trois avec une femme ou un homme, à coucher avec un autre homme pendant que le mari se masturbe et d’autres pratiques invraisemblables, écœurantes, dont je vous fais grâce, par respect!
La sodomie, un calvaire: des fissures qui saignent constamment, des douleurs constantes. S’asseoir et marcher deviennent difficiles. Les victimes n’osent pas aller chez le médecin ou n’en ont pas les moyens. Et la culpabilité religieuse. «Dieu me pardonne et maudisse le Viagra qui le laisse actif à 70 ans!»
Un viol de la décence: les femmes sont scandalisées par la nudité des époux qu’elles pensent, à tort, péché: «il m’oblige à le voir se caresser», «à le masturber». «Il garde la lumière, me regarde, me touche. Je ne suis pas une prostituée. C’est péché!». Les films pornographiques créent de la violence quand la femme refuse de les voir avec le mari.
Un juriste, choqué quand je lui demande si le viol conjugal doit être pénalisé: «quoi? Je dois demander une autorisation au Caïd pour toucher ma femme?». Non, juste être bienveillant et tendre avec elle.
Rabat, 2019: un époux poursuivit sa femme en justice pour l’obliger à copuler. Elle déclara qu’elle accepterait si l’époux devenait bienveillant et tendre pendant l’acte. Le tribunal s'est prononcé en faveur du consentement mutuel dans les rapports sexuels conjugaux (Code de la Famille, art.51): le rapport sexuel est à la fois un droit et un devoir pour les deux conjoints. Une première!
Le viol conjugal doit être pénalisé. C’est une violence physique et psychologique.
*Le Viol conjugal, Soumaya NAAMANE GUESSOUS, Dr Chakib GUESSOUS, avec Oyoune Nissaiya, 2011. Observatoire marocain pour les violences faites aux femmes.