Le moussem, moggare en amazigh, fête annuelle, souvent en milieu rural, célèbre al wali ou saïde (saint). Moussem vient de maoussim qui signifie saison.
Les moussems se passent en été et marquent la fin de l’année agricole. Après lahsade (la moisson), les familles disposent d’argent après avoir trimé l’hiver et le printemps. Le moussem, c’est une récompense, ce sont des vacances, des loisirs. En milieu rural, il n’y avait aucun loisir. Aujourd’hui, les seuls sont la télévision et le smartphone, dont les ruraux font une consommation excessive.
Le moussem est également nommé allama (le regroupement) ou la’mara (le remplissage). Il est différent du festival, même si en arabe on utilise le mot moussem pour les deux.
Le moussem est une fête traditionnelle séculaire, organisé par les tribus. Le festival est une activité festive récente, à thème, organisée par l’Etat pour valoriser les produits du terroir ou des spécificités culturelles d’une région: Moussem des amandiers (Tafraout), des cerises (Sefrou), des dattes (Erfoud), des roses (M'Gouna), de Tan-Tan, haut lieu des cultures orales et artistiques marocaines sahraouies, inscrit patrimoine culturel immatériel de l'humanité…
Le Maroc est la terre des saints, du mysticisme musulman et également juif: 5.342 mausolées musulmans, dont près de 800 célèbrent leur moussem. 652 saints juifs, dont 200 célébrés par les Marocains juifs et musulmans. A Azemmour, au mausolée d’Abrahm Moul Niss, j’ai demandé à une femme si elle savait qu’elle vénérait un juif. Elle m’a répondu: «il était pieux et faisait du bien à la population, sans distinguer les juifs des musulmans. Notre Dieu est le même».
Lors de la hiloula, fête juive qui commémore l’anniversaire du décès d’un saint, parfois les deux communautés sont réunies. Les juifs sont restés très attachés à leurs saints et une grande partie de la communauté qui a émigré à partir des années 60 continue à célébrer la hiloula, y compris les jeunes.
Chaque saint a sa légende, sa spécialité. Des hommes, ou de rares femmes, qui se sont distingués par leur piété, leur vertu et leur dévouement à la population qui les ont accueillis. Lettrés, ils avaient accès au Coran et aux hadiths. Ils guidaient les habitants dans leur piété, lisaient et écrivaient leur courrier et les soignaient par le Coran dans des talismans. Ils fascinaient. Les tribus les accueillaient généreusement, leur offraient des terrains, des épouses pour les sédentariser et bénéficier de leur baraka. Décédés, ils devenaient des saints.
Les légendes en ont fait des mythes, faiseurs de miracles.
Le moussem est un pèlerinage où la lecture du Coran et les prières sont présentes. On y formule des vœux pour que le saint aide à les exaucer: santé, mariage, bonne récolte…
Les pèlerins font des dons personnels ou collectifs, organisés par des tribus qui viennent en procession, en grande cérémonie, accompagnés de musiciens ou de groupes de chanteurs d'hymnes religieux avec de la percussion, des flûtes ou trompettes ou autres, selon les régions: argent liquide versé dans sanedouke (caisse), distribué aux descendants du saint. Lahdya (offrande) en sucre, thé, belle étoffe pour couvrir le tombeau… Dbiha, dromadaire, bœuf, mouton, chèvre, volaille, sacrifiés à la porte du mausolée.
Les bougies, grandes et colorées, ou petites et blanches, sont incontournables.
Des repas collectifs sont offerts à tous les pèlerins. De l’aumône est distribuée aux mendiants et aux familles pauvres. Le moussem est un pèlerinage collectif où le partage et la générosité dominent.
Les familles ont attendu et préparé avec soin ce rendez-vous. Les tentes sont dressées, meublées, décorées pour les convives. Un coin est réservé pour cuisiner les plats les plus succulents. Les moussems durent une semaine à dix jours.
Le moussem est une fête, un lieu de loisir qui regroupent les tribus avoisinantes. Les routes n’étaient pas goudronnées, les pluies, les neiges et les crues des rivières, en hiver, isolaient les populations. Sans voitures, sans smartphone, les contacts étaient coupés.
Seul al âttar (le colporteur) qui passait péniblement de douar en douar pour vendre divers produits, apportait un peu d’informations. Lors du moussem, les habitants des douars et les nomades se retrouvaient après une longue absence pour renouer les liens sociaux.
Dans cet espace ouvert, les femmes retrouvaient un peu de liberté et les filles à marier devenaient visibles. Le moussem fut, et reste encore, le lieu des transactions matrimoniales.
Chaque moussem est animé par les troupes musicales de la région. Les nuits sont longues et animées par les chants, les danses et la transe. La menthe, les grillades et les tajines aiguisent les appétits.
Tbourida (fantasia), meilleure attraction par les tribus, rivalisent par la beauté des chevaux, des selles, des costumes traditionnels locaux des cavaliers, des khaymate (tentes)…
L’activité commerciale est foisonnante. On y trouve de tout, jusqu’aux aphrodisiaques.
Le moussem est également un lieu de drague où la sexualité s’exerce discrètement.
Aujourd’hui encore, les moussems attirent des touristes nationaux et surtout des familles ayant migré vers les villes, mais restées attachées à ces rencontres.
Les Soussis, particulièrement, restent fidèles à leur moggar, ainsi que de nombreux Marocains vivant à l’étranger.
Des voix dénoncent ces cérémonies jugées archaïques, haram.
La zyara, vénération du saint, disparaîtra avec les jeunes générations qui ne croient plus aux miracles et qui consultent des médecins pour se soigner. Mais j’espère que les moussems survivront, car ils contribuent à sauvegarder le patrimoine culturel immatériel. Ils consolident les identités socioculturelles et territoriales ainsi que le tissu social.
Plus l’âame zine, plus le moussem est faste. Cette année, avec la sécheresse, la morosité plane. Prions pour que l’année prochaine ykoune l’âame zine. Amine!