Dès son arrivée au Maroc en 1912, Lyautey comprit qu’il n’était pas en présence d’un territoire «quelconque», mais d’une authentique Nation au passé exceptionnellement riche.
En ces temps de ré-écriture de l’histoire et d’analyse des évènements du passé à la lumière des idéologies d’aujourd’hui, il n’est pas inutile d’évoquer la politique marocaine d’Hubert Lyautey.
Dès son arrivée au Maroc en 1912, Lyautey comprit qu’il n’était pas en présence d’un territoire «quelconque», mais d’une authentique Nation au passé exceptionnellement riche. Il exprima clairement cette réalité en 1916:
«Alors que nous nous sommes trouvés en Algérie en face d’une véritable poussière, d’un état de choses inorganique, où le seul pouvoir était celui du Dey turc effondré dès notre venue, au Maroc, au contraire, nous nous sommes trouvés en face d’un empire historique et indépendant, jaloux à l’extrême de son indépendance, rebelle à toute servitude (….)» (Discours de février 1916 devant la Chambre de commerce de Lyon).
Dans le contexte universaliste et assimilateur dans lequel baignait alors la colonisation française, Lyautey constitue une grande et profonde originalité. Son action procéda en effet d’une constante qu’il eut toujours à l’esprit et qui était que le Protectorat français sur le Maroc n’était qu’un état transitoire, provisoire, devant inéluctablement aboutir à l’indépendance. Ce que voulait Lyautey, c’était, dans cet intervalle de temps, doter le Maroc, qu’il aima passionnément, de tous les atouts nécessaires à son entrée dans la modernité. Sa politique n’eut donc pas pour but d’affaiblir l’Etat marocain, mais tout au contraire de le renforcer.
Peu de temps avant sa mort, faisant le bilan de son action au Maroc, il écrivit ces lignes qui résument bien sa personnalité.
«Au fond, si j’ai réussi au Maroc, c’est pour les raisons mêmes qui me rendaient inutilisable en France. J’ai réussi au Maroc parce que je suis monarchiste et que je m’y suis trouvé en pays monarchique. Il y avait le Sultan, dont je n’ai jamais cessé de respecter et de soutenir l’autorité. J’étais religieux et le Maroc est un pays religieux».
Au mois de janvier 1921, Lyautey déclara que «le Maroc n’est pas et ne sera jamais une colonie de petit peuplement agricole» et il mena une politique bien résumée dans les lignes qui suivent:
«(…) certains (…) n’attendent que mon départ pour algérianiser le Maroc. Ils y sont aidés par les socialistes. La doctrine du protectorat, si intelligente, si souple, si féconde, si nuancée, dépasse absolument la portée de ces cerveaux primaires (…). Cela rend la tâche très décourageante, car j’ai la sensation très nette que l’essentiel de mon œuvre s’écroulera avec moi». (Lettre à Barrucand, 19 août 1918).
Ce que Lyautey refusait, c’était l’introduction au Maroc des principes jacobins sur lesquels reposait la colonisation de l’Algérie. Lucide et iconoclaste, il écrivit en 1920 un texte prophétique dans lequel il adoptait une attitude proprement révolutionnaire pour l’époque puisqu’il se prononçait clairement pour la décolonisation:
«Je crois comme une vérité historique que dans un temps plus ou moins lointain, l’Afrique du Nord évoluée, civilisée, vivant de sa vie autonome, se détachera de la métropole. Il faut qu’à ce moment-là, et ce doit être le but suprême de notre politique, cette séparation se fasse sans douleur».
Opposé à la politique de guerre totale décidée par Paris et mise en pratique par le maréchal Pétain lors de la guerre du Rif, Lyautey démissionna, et il regagna la France au mois d’octobre 1925.
Lyautey parti, les Résidents qui lui succédèrent et qui n’eurent généralement ni son envergure, ni sa connaissance, et encore moins son amour du pays, voulurent, selon les directives de Paris, administrer le Maroc comme un vulgaire territoire colonial ou comme les départements français d’Algérie. D’où le Dahir berbère qui était la trahison même de la politique suivie par Lyautey, lui qui avait tant œuvré pour l’unité du Maroc, non pour sa division.