Bonnes années!

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ChroniqueCalendriers musulman, juif ou chrétien; lunaire, solaire ou les deux à la fois, interroger le temps n’est pas une mince affaire…

Le 01/01/2022 à 11h02

Il y a le temps des horloges, le temps liturgique, le temps cosmique… Et une interrogation constante: est-il admis de fêter (que dis-je, juste de souhaiter) une joyeuse année?

Par les temps qui courent, certains en sont arrivés, dans une forme symptomatique de rejet, appuyée par moult références telles les «Fatâwâ al-Koubrâ al-fiqhiya» de l’imam égyptien du XVIe siècle Ibn Hajar al-Haytami, maître de l'école chafiîte de son époque, de ranger «parmi les plus mauvaises innovations, le fait que les musulmans se conforment aux chrétiens dans leurs fêtes, en imitant leur nourriture», au point de criminaliser aujourd’hui une part de bûche à la crème.

L’heure est grave!

Cela dit, le long de l’année, les pâtisseries et boulangeries exhibent magnanimement, dans une harmonieuse mixité, des parisiennes, des pains suisses, des viennoiseries, aussi bien que des madeleines, des sacristains, le Saint-Honoré auprès de religieuses au chocolat!

Pour dire jusqu’où l’expression religieuse va se nicher, de même que l’exacerbation des sensibilités face à des célébrations dans lesquelles se mêlent, consciemment ou pas, il faut bien l’admettre, profane et sacré.

Le seul calendrier revendiqué est donc islamique, basé sur l’observation des cycles de la lune et ancré dans l’histoire de la fondation du premier noyau d’un Etat musulman à Médine.

Il y a 1443 années, le prophète de l’islam -Paix et Salut sur lui- accompagné d’un petit groupe de fidèles, effectuait sa Hijra et expatriation de La Mecque à Yathrib, rebaptisée depuis cette date, Al-Madina, la Ville par excellence où se forma la base de la première communauté.

Marquant un tournant décisif, cette date fut choisie comme le point de départ de l’ère musulmane par le calife Omar ibn al-Khattab.

Le calendrier hégirien reste cependant davantage associé aux évènements religieux qu’aux autres activités de la vie quotidienne, malgré sa préséance de rigueur dans les cœurs et sur les documents officiels. 

Pour les juifs (lesquels sur le plan juridique, bénéficient anciennement au Maroc d’un cadre conforme aux préceptes du judaïsme et sont régis par la loi hébraïque au niveau du statut personnel), le calendrier est luni-solaire et la célébration de Roch Hachana (textuellement, Tête de l’année), ancestrale.

Assimilé à l’anniversaire de la création de l’univers qui remonterait à 3760 av. J.-C, il ouvre une période de dix jours de pénitence dans l’attente du grand pardon.

Le même poids religieux détermine évidemment le calendrier chrétien, marqué quant à lui par quelques divergences historiques caractéristiques.

C’est ainsi que le pape Grégoire XIII imposa en 1582 dans les Etats pontificaux le calendrier grégorien (du nom de son instigateur), dans une réforme du calendrier julien.

Il fut suivi par quelques Etats comme l’Espagne, le Portugal, l’Italie, la Pologne, la France, alors que les Protestants attendirent le XVIIIe siècle, confortés par la formule restée fameuse de l’astronome Johannes Képler, selon laquelle ils «aiment mieux être en désaccord avec le Soleil, que d'accord avec le pape».

Le nouvel an de ce calendrier sera le 1er janvier dans tous les pays catholiques sur décision du Saint-Siège, depuis l’année 1622.

Avant cela, selon les régions, l’année commençait le 25 mars, jour de l’Annonciation; ou à Pâques; voire le 25 décembre, jour de la Nativité de Jésus –Paix sur lui–; si ce n’est huit jours après Noël, correspondant au jour de sa circoncision.

Cette date du premier janvier, l’empereur romain Jules César l’avait adopté, en l’an 46 avant notre ère, comme Jour de l'An, en l’honneur de Janus, dieu de la transition, des fins et des commencements, qui laisse son nom au mois de janvier.

Le calendrier julien est ainsi institué dans tout l’Empire romain par Jules César sur les conseils de son astronome égyptien Sosigène d’Alexandrie. Il resta en vogue au sein des Eglises orthodoxes d'Orient jusqu'en 1923, date à laquelle il fut révisé lors d'un synode à Constantinople; tandis que l’Eglise orthodoxe russe le conserve encore de manière stricte.

De ce calendrier, est également dérivé le calendrier authentique de l’Afrique du Nord.

Plus ancien que le calendrier lunaire, il est scandé par le rythme des saisons et imposé par les exigences de l’agriculture, d’où son appellation de «Filahi», agricole.

Fêtant les labours, les semailles et les moissons, il évoque cette harmonie entre vie humaine et vie végétale, soumises toutes deux aux mêmes lois et aux mêmes vicissitudes.

Le premier jour de l’année de ce calendrier, célébré selon les régions du 12 au 14 janvier du calendrier grégorien, est dit «Yennayer», du latin Ianuarius.

Certains ont arrêté une année zéro à ce calendrier, démarrant avec le règne du roi berbère Sheshonq Ier, fondateur de la XXIIe dynastie égyptienne.

En 945 avant J.-C., le chef de la tribu des Maschwesch prit le pouvoir en Egypte pour devenir pharaon.

Parmi les faits d’armes de Sheshonq: son expédition en Palestine et la prise de Jérusalem, dont le récit est commémoré sur le bas-relief du temple d’Amon à Karnak.

Il est appelé Sésaq dans la Bible, où on peut lire que le roi d’Egypte avait «douze cents chariots de guerre, et soixante mille hommes de cavalerie; et le petit peuple qui était venu d’Egypte avec lui ne pouvait se compter; ils étaient tous libyens, troglodytes et éthiopiens».

Quoi qu’il en soit, dans tout le Maghreb, que ce soit en zones berbère ou arabe, les symbolismes universels de yennayer en tant que «porte de l’année» étaient l’occasion de nombreuses festivités.

Les changements de traditions étaient de mise d’une région à l'autre, toutefois le point commun entre toutes les réunions qui duraient plusieurs jours étaient des rites de purification, de renouvellement (d’ustensiles, de pierres des foyers…) et de placement de la nouvelle année sous les meilleurs augures liés à l’abondance, à travers de copieux repas.

Les chants, les jeux et les combats rituels n’étaient pas en reste, de même que les bouffonneries et les masques autorisant la dérision, la permissivité ou représentant les mystères de l’Invisible.

Car interroger le temps n’est pas une mince affaire…

Saint Augustin avouait dans ses Confessions: «qu'est-ce donc que le temps? Si personne ne me le demande, je le sais; si on me demande de l'expliquer, je l'ignore».

Plus prosaïquement, loin de toute considération métaphysique ou religieuse, s’agissant juste de festoyer, un illustre anonyme a répondu aux polémiques récurrentes au sujet de célébrations qui ne seraient pas les «nôtres», en déclarant en substance sur un réseau social que depuis ce marasme pandémique et les mesures déprimantes qui vont avec, toutes les réjouissances étaient les bienvenues.

Alors, tant pis pour les âmes chagrines et bonnes années!

Par Mouna Hachim
Le 01/01/2022 à 11h02